BAMB

Le projet européen de recherche et d’innovation (Horizon 2020) BAMB (Buildings As Material Banks) a regroupé 15 partenaires issus de 7 pays dans le but d’instaurer une logique circulaire dans le secteur de la construction. Pendant 4 années, de 2015 à 2019, l’objectif de ces partenaires était de rendre leur véritable valeur aux matériaux de construction afin d’éviter qu’ils ne finissent comme déchets. Deux outils ont été principalement utilisés: le passeport matériaux (Materials Passport) et la conception de bâtiments réversibles (Reversible Building Design). Ceux-ci s’accompagnaient de directives, recommandations politiques et nouveaux modèles économiques circulaires. 6 projets pilotes ont permis de tester cette nouvelle stratégie et plusieurs publications pouvant être consultées sur le site web du projet BAMB sont un intéressant retour d’expérience.

La conception de bâtiments réversibles, facilitant leur rénovation, transformation intérieure ou extérieure et le réemploi de leurs composants, a notamment été testée en Belgique (Circular Retrofit Lab et Build Reversible In Conception), en Bosnie-Herzégovine (Green Design Centre) et aux Pays-Bas (Green Transformable Building Lab). Des scénarios de déconstruction, transformation et reconstruction ont ainsi été envisagés ou mis en pratique en situation réelle ou via des modules expérimentaux, le tout faisant la part belle au réemploi! Ces projets comprenaient également une dimension éducative puisque le Green Designe Centre avait pour objectif de devenir un centre d’information public. Le BRIC (Build Reversible In Conception) était quant à lui fabriqué par et pour les apprenants d’un centre de formation professionnelle (efp) alors que le Circular Retrofit Lab servira de laboratoire aux étudiants de la Vrije Universiteit Brussel (VUB).

Une autre conception réversible a été testée à travers l’élaboration de la structure démontable et adaptable d’une exposition itinérante (Reversible Experience Modules). Celle-ci présentait une série de produits et systèmes constructifs pensés en vue d’un futur potentiel réemploi. Chaque matériau s’accompagnait d’un passeport virtuel, sorte de guide sur la façon de les désassembler et d’éviter leur gaspillage. Le passeport matériaux a été par ailleurs testé en situation réelle en Allemagne (New Office Building). Celui-ci prenait bien sûr en compte le potentiel de réemploi de ces matériaux!

Ferme du Rail

La Ferme du Rail, inaugurée à Paris (XIXe) en 2019, est un équipement de quartier autour de l’agriculture urbaine. Situé sur un terrain difficile d’accès, le long d’une voie de chemin de fer désaffectée, il se veut un espace de production agricole mais aussi un lieu de solidarité, d’hébergement, de formation, de restauration et de rencontre. Les deux bâtiments de la ferme regroupent en effet autour d’un potager central une cantine-restaurant, un hangar et une serre, auxquels s’ajoutent vingt logements destinés à des travailleurs en insertion et à des étudiants ingénieurs, architectes ou en horticulture. Cette ferme low-tech, à la conception bioclimatique, aux matériaux biosourcés ou de réemploi, tournée vers la permaculture et à finalité sociale est née de l’appel à projets urbains innovants Réinventer Paris, lancé en 2014.

À l’origine du projet, on retrouve la coopérative d’architecture Grand Huit qui inscrit son action dans le champ de l’économie circulaire mais aussi sociale et solidaire, ainsi que la paysagiste Mélanie Drevet. Ces habitants et usagers du quartier s’entourent d’une série d’acteurs qui deviendront les futurs exploitants du lieu, tels que l’entreprise d’insertion Travail et Vie, les associations Atoll 75 et Bail Pour Tous, mais aussi la foncière sociale Réhabail qui prendra en charge la maîtrise d’ouvrage. Celle-ci se fera dans un contexte particulier puisque la Ville de Paris reste propriétaire de la parcelle, cédée dans le cadre d’un bail à construction de 50 ans. L’accès au sol facilité par les pouvoirs publics se complète d’une mosaïque de financements publics et privés. Ceci permet d’envisager un programme ambicieux tant sur le plan écologique que social. Et le réemploi des matériaux, en répondant à ces deux impératifs, allait devenir un élément important dans l’esprit des concepteurs, pour qui “réemployer les matériaux et travailler avec des personnes en insertion relève (…) de la même logique. Ne plus jeter et ne plus exclure.”¹

Faire avec “le déjà là”, avec “ce qui reste” devient pour les membres de Gran Huit l’un des aspectes d’une nouvelle façon de travailler. Pour eux, le réemploi, la “valorisation des délaissés”, a bien sûr une dimension pratique mais découle avant tout d’une posture morale et politique: “le réemploi n’est pas d’abord l’exploitation de nouveaux «gisements», mais la revendication d’un soin inédit à l’égard de la matière et des personnes”¹. Au-delà des impératifs environnementaux, c’est un moyen pour les architectes de “préserver un accès au travail pour tous, signifiant et non oppressif”¹ car faire le choix d’un réemploi local est aussi pour eux une manière de réintroduire la fonction ouvrière et artisanale au centre de la ville.

D’autre part, ils insistent sur la dimension mémorielle du réemploi. Car si parmi les freins au réemploi, le plus important semble peut-être idéologique, il convient d’“éduquer les regards à percevoir la beauté de ces délaissés redevenus désirables”¹. Redonner leur véritable place aux matériaux et à ceux qui les travaillent, et donc au processus, les amène ainsi à rendre sa véritable valeur au moment du chantier. Il s’agit donc d’y associer très tôt les futurs usagers, dans l’esprit des permancences architecturales, mais aussi en faisant démarer certaines activités du site avant même son aménagement définitif. Il s’agit également de faire du chantier un espace démocratique de création, à l’environnement favorable à la formation. Plusieurs entreprises d’insertion seront d’ailleurs présentes sur le chantier de la ferme: 5 lots sur les 16 lots techniques leur ont été confiés. Voici donc une nouvelle façon de tenter de rendre à l’architecture sa dimension sociale, à l’opposé d’une architecture-objet. Mais si une ACV a été réalisée qui peut donner une idée des bienfaits à mettre à l’actif du bâtiment, à très faible impact environnemental (ossature bois, isolation en paille, vêture en bois de châtaginier, utilisation de matériaux biosourcés et de réemploi), elle ne tient néanmoins pas compte de l’aspect social du projet. Les architectes plaident donc pour de nouveaux indicateurs de richesse et une approche du “coût global” de chaque projet qui intégrerait cet aspect.

Suit ici une liste de matériaux réemployés sur le site du projet:

  • fenêtres en bois provenant de logements sociaux ayant été rénovés, transformées en jardinières de toiture faisant office de garde-corps (bois sablé, déligné et réassemblé en panneaux) ou en parquet en bois de bout pour la salle commune (même stock de bois, cette fois débité), le tout réalisé par l’Atelier R-are;
  • contreplaqué issu de la Fashion Week et destiné à la fabrication d’armoires pour les chambres;
  • pierres de voirie issues du stock de la Ville de Paris et utilisées pour l’aménagement du jardin (murs de soutènement en pierre sèche, emmarchements, dallage);
  • bâches publicitaires provenant de la Réserve des Arts transformées en stores par Les Résilientes;
  • carreaux de faïence dépareillés issus de fin de stock et destinés aux salles de bain (l’identité propre de chacune des salles nécessite un calepinage à chaque fois différent).

La découverte du réemploi et de son adéquation avec une démarche écologique et sociale a amené les architectes à développer cette pratique. Ainsi, le projet de la Maison des Canaux, à Paris (XIXe), dont le chantier est en cours et qui se veut un lieu de référence de l’économie circulaire, sociale et solidaire, a pour mission de devenir un démonstrateur du réemploi. Projet pilote mené dans le cadre du projet européen FCRBE, dont nous vous parlions déjà ici, il a pour objectif d’intégrer de 70 à 100% de matériaux issus d’un réemploi local!


¹ Le présent article s’inspire en grande partie du livre “La Ferme du Rail – Pour une ville écologique et solidaire” écrit par Clara et Philippe Simay, membres de la coopérative Grand Huit, et publié en 2022 aux éditions Actes Sud, dans la collection “Domaines du possible”. Toutes les citations reprises dans l’article en sont d’ailleurs extraites ainsi que certains termes spécifiques au projet.

Pour ce qui a trait plus spécifiquement au réemploi, une présentation de Clara Simay, effectuée dans le cadre de l’ICEB Café du 19 septembre 2019, est disponible sur le site de l’ICEB (Institut pour la Conception Écoresponsable du Bâti).

Catedral de Santa María

Lorsque l’on évoque la déconstruction et le réemploi des matériaux de construction, il existe un cas très spécifique qui est celui des sites patrimoniaux. Les objectifs du réemploi ne sont alors plus seulement économiques et environnementaux mais avant tout historiques. La restauration de la cathédrale Santa María de Vitoria-Gasteiz est un bon exemple d’application de ce type particulier de réemploi. Le monument historique dont les bases remontent à l’an 1200 et inscrit par l’UNESCO en 2015 comme l’un des biens individuels du Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle se caractérisait par de graves problèmes structurels. La fermeture de l’édifice au public, la présentation en 1998 du Plan Directeur de Restauration Intégrale et la création de la Fondation Cathédrale Santa María pour le gérer et le développer, ouvrirent une période de restauration de la cathédrale toujours d’actualité après plus de vingt ans.

Tout au long du processus de restauration, l’un des critères fondamentaux a été le réemploi in situ des matériaux. Lorsque ce réemploi est possible, il implique le démontage, le traitement et le stockage d’éléments historiques en bois, pierre ou céramique avant leur réinstallation ou leur éventuelle redistribution dans le but d’améliorer le fonctionnement structurel, en profitant ainsi de travaux antérieurs dans différentes parties de la cathédrale. Lors de la reconstruction des toitures, c’est de cette façon que de nombreuses poutres en bois de chêne ont été récupérées. Ont également été récupérées 13 319 tuiles en céramique destinées plus spécifiquement à la couverture du chevet de la cathédrale, constitué d’une alternance de tuiles courbes concaves et convexes, partiellement superposées. La plupart des tuiles réemployées sont de type convexe (cobija), les tuiles de type concave (canal) ayant été substituées par de nouvelles pièces. Et il n’est pas rare que les pièces réemployées conservent des traces de leur histoire, comme par exemple la marque correspondant à leur atelier d’origine.

Les matériaux historiques réemployés sur les chantiers très spécifiques de protection du patrimoine sont sans aucun doute considérés comme une richesse mais cette vision pourrait-elle s’étendre à d’autres matériaux plus communs? Peut-être pourrions nous nous inspirer du travail réalisé au sein de la cathédrale Santa María et reconnaître également l’importance culturelle du réemploi lorsque celui-ci s’applique à des matériaux et à un patrimoine plus ordinaires.


Le site internet de la Fondation Cathédrale Santa María regroupe de nombreuses informations sur les chantiers de restauration passés et actuels.

Un nouveau musée

La construction du nouveau Musée de folklore de la ville de Mouscron (Belgique) par les architectes du bureau V+ a donné lieu à un réemploi bien particulier de briques anciennes. Dans le cadre d’un décret visant l’intégration d’œuvres d’art dans les bâtiments publics, l’artiste français Simon Boudvin a fait en effet la proposition suivante : « introduire des briques anciennes dans les murs du nouveau Musée, en documenter leurs sites d’origine ».

La construction du Musée intervient de manière un peu paradoxale au moment où plusieurs bâtiments témoins de l’histoire de la ville sont sur le point de disparaître. Ils deviendront néanmoins source de matériaux : « une usine, un entrepôt, des maisons ouvrières, un cinéma, un couvent, une maison bourgeoise, un café, une ferme ont approvisionné de leurs briques les façades du Musée ». Les briques se transforment ainsi en objets de musée tout en conservant leur usage. Si le Musée s’intègre à la trame de la ville, briques anciennes et nouvelles se mélangent quant à elles suivant l’appareil. La proportion de briques réemployées est de 25%. Elle est du fait du bureau d’études : le mélange avec des briques neuves limite en effet l’impact du réemploi sur les tests et calculs de stabilité. Seront réemployées dans le projet 28500 briques, ce qui correspond à environ 34 m³ (source Opalis).

Le Musée est divisé en différents volumes séparés par des joints de dilatation. Chacun de ces volumes, par sa taille, les briques de réemploi qu’hébergent ses murs ou les objets qu’il expose fait référence à une activité bien particulière et donc à un bâtiment bien particulier. De discrets numéros présents en façade déterminent la provenance des briques réemployées. Si la dimension culturelle de ce réemploi semble donc importante, celui-ci ne cherche pourtant pas à devenir militant ou ostentatoire. Une couche de badigeon blanc recouvre l’ensemble des murs et les briques de réemploi ne se distinguent que par certaines aspérités.

La collecte des briques et leur intégration aux murs du Musée s’accompagnent d’un travail de documentation qui a mené Simon Boudvin à la publication d’un livre. Celui-ci décrit l’ensemble de l’opération, le nouveau Musée ainsi que les bâtiments dont sont issues les briques. Les citations ainsi que le titre de l’article sont empruntés à ce livre : Simon Boudvin, UN NOUVEAU MUSÉE, Accattone et MER. Paper Kunsthalle, 2018.

Collectif Etc – 3

Si le bois de palette est un élément récurrent des projets mêlant réutilisation et réemploi, un autre matériau standardisé qui lui est proche trouve une utilisation intéressante en 2012 dans le projet d’aménagement du jardin Michelet à Colombes, près de Paris. Il s’agit de panneaux de séchage pour parpaings, aux dimensions bien définies : 140×110×4 cm dans le cas qui nous occupe. Ces panneaux en bois sont par ailleurs fréquemment renforcés sur les côtés par des profilés métalliques.

Le jardin Michelet est pour sa part l’un des éléments du projet R-urban, porté par l’atelier d’architecture autogérée (aaa). Dans une logique de création de réseaux locaux et de circuits courts, ce projet d’économie sociale et solidaire regroupe différents pôles s’articulant autour des questions de l’habitat (EcoHab), du recyclage (RecycLab) ainsi que de l’agriculture urbaine (AgroCité). C’est dans le jardin qui abrite l’AgroCité, qu’est intervenu le Collecif Etc. Auto-construction et réemploi étaient bien entendu au menu ! L’intervention porte sur un espace technique et un autre de rencontre, reliés par un axe central. Leur système constructif suit une trame régulière déterminée par les dimensions standardisées des panneaux de bois. Ceux-ci recouvrent planchers et parois des différents espaces. La régularité de la trame facilite par ailleurs d’éventuels ajouts ou modifications.

Les planches de séchages et une série d’autres matériaux de construction de seconde main récupérés sur chantier ou achetés auprès de fournisseurs spécialisés ont ainsi été valorisés par le Collectif Etc mais aussi par l’atelier d’architecture autogérée au sein du projet principal de l’AgroCité. Ces ressources ont été recensées sur le site internet du projet. Un nouveau réemploi des éléments constitutifs de l’AgroCité (madriers, fenêtres, portes…) sera d’ailleurs pratiqué lors du déménagement du projet. Il sera en effet déconstruit puis reconstruit en 2018 sur un nouveau site, à Gennevilliers.

Une série d’informations plus techniques sur les panneaux de séchage sont notamment disponible sur le site Opalis. Les caractéristiques techniques observées en Espagne peuvent différer légèrement puisque les dimensions des panneaux y sont en général inférieures. Il est cependant tout aussi possible de s’y fournir en seconde main. Les panneaux souvent réalisés en bois de pin existent également en plastique ou en métal.

Collectif Etc – 2

Habitué au travail du bois, le Collectif Etc participe en 2016 au chantier de remontage d’une ancienne étable à colombages du XIXe siècle. Celui-ci a lieu sur le site de l’Écomusée d’Alsace, musée en plein air dédié aux traditions et à la vie actuelle. Ce réemploi, servi par les techniques traditionnelles de la construction en bois, fat suite à un travail préalable de déconstruction et de numérotage de la part des équipes du musée. La vision d’une tradition remise au goût du jour défendue par l’Écomusée se traduit, lors de la reconstruction, par la réinterprétation des techniques anciennes et l’utilisation de vis ou d’un mur en béton. D’anciennes tuiles artisanales seront également réemployées. Tout ceci nous rappelle l’importance de certaines techniques parfois oubliées et les leçons qu’il y aurait à en tirer alors que nous redécouvrons la déconstruction et le réemploi.

Toujours sur le site de l’Écomusée, le Collectif Etc mène en parallèle un travail de recomposition d’une autre structure à colombages. Cette fois-ci, des pièces sont manquantes et le plan n’existe plus : un véritable puzzle pour constructeur en kit avec comme seule piste la petite plaque métallique numérotée que portent certaines pièces en bois. Les inévitables difficultés rencontrées illustrent bien l’importance de la déconstruction et de la numérotation qui, si elles sont correctement effectuées, peuvent permettre un réemploi rapide de structures parfois très anciennes !

Collectif Etc – 1

Les architectes et constructeurs français du Collectif Etc ont choisi de questionner nos pratiques urbaines et architecturales dans une logique d’autogestion égalitaire par les usagers. Le collectif accorde dès lors une grande importance au processus de création et à l’expérimentation. Il a la volonté de tisser des liens avec une série d’acteurs aux compétences très diverses. Ceci a par exemple débouché sur un périple d’un an à vélo à la découverte de la «fabrique citoyenne de la ville» (Détour de France), sur une incursion dans le monde de l’édition (la cabane d’édition Hyperville) ou sur la fondation d’un lieu propre (l’Ambassade du Turfu). Ce brassage d’idées et de pratiques amène naturellement le collectif à travailler avec et pour le réemploi. La cité de chantier construite à proximité de la Grande Halle de Colombelles avec de nombreux matériaux de réemploi n’est pas leur seul projet dans ce domaine.

Ainsi, en 2012, sur invitation à Grenoble des Arpenteurs, le collectif participe à la transformation d’un ancien local de vente de piscine, bâtiment industriel fourni par l’Établissement Public Foncier Local (EPFL), pour en faire une fabrique de solutions pour l’habitat. Renommé la Piscine, le lieu allait permettre le débat et l’expérimentation autour des questions de l’habitat, notamment à travers l’auto-construction et la réutilisation. Divisé en plusieurs lots attribués à différents collectifs, l’ensemble regroupe un atelier de fabrication de meubles, un espace polyvalent de rencontre et d’échange, une cuisine et une réserve. Grâce à une collecte de matériaux, cette dernière sera organisée en ressourcerie en vue des travaux ainsi que du fonctionnement ultérieur du lieu. Sera réutilisé du bois de palettes : des centaines de planches destinées notamment à la création de deux grandes tables. Des chutes de rideaux seront réassemblés en une grande pièce séparant les espaces. D’anciens meubles ainsi qu’une baignoire viendront équiper la cuisine. Les chutes de bois serviront à la création de lettres utilisées en façade et qui donnent sa nouvelle identité au bâtiment. Dans une logique de transmission, des notices de fabrications seront par ailleurs adjointes aux différents meubles élaborés.

L’exposition Matière Grise du Pavillon de l’Arsenal à Paris, dont les architectes d’Encore Heureux sont les commissaires, voyagera par las suite à Nice en 2015 au Forum d’Urbanisme et d’Architecture pour y présenter des projets de réemploi. Cette nouvelle édition sera l’occasion d’une installation in situ de la part du collectif. Les restes de l’exposition précédente mais aussi le centre de tri des déchets du bâtiment de l’industriel Véolia leur fourniront les matériaux nécessaires à la création d’une gamme de mobilier, principalement du bois issu de planches de coffrage. Ces matériaux alimenteront également une ressourcerie présente au sein de l’exposition et mise à la disposition des visiteurs après avoir servi au projet lui-même. Le mauvais état de ces matériaux et les différentes actions nécessaires afin de pouvoir les utiliser (sélection, déclouage, redécoupage, ponçage…) illustrent bien la différence qu’il y a entre réutilisation et réemploi et les difficultés qu’il y a à travailler avec des ressources ayant acquis un statut de déchet.

Lors de la 16e Biennale Internationale d’Architecture de Venise en 2018, le collectif participe à l’élaboration de la scénographie du Pavillon Français dont les commissaires sont les architectes d’Encore Heureux. Mettant en avant dix expérimentation françaises, tant architecturales que sociales et culturelles, le thème du Pavillon, Lieux infinis, correspond bien au collectif qui ne construit pas tant des bâtiments que des lieux. La scénographie utilisera les restes de la contribution française à la Biennale d’Art de l’année précédente (Studio Venezia de l’artiste Xavier Veilhan) : des centaines de plaques de contre-plaqué okoumé. Au préalable démontées et stockées, elles seront réemployées in situ, habillant la structure de l’espace principal ou se transformant en assises et plateaux des tabourets, bancs et tables créés pour l’occasion.


D’autres projets liés au réemploi sont également décrits de façon exhaustive sur le site du collectif.

Exhibitions – 1

Qu’il s’agisse d’expositions thématiques directement liées au sujet, ou d’expositions interrogeant les nouvelles manières de construire dans un contexte de crise sociale, environnementale et économique, le réemploi a été souvent mis à l’honneur ces dernières années.

L’une des plus connues en France a sans doute été dès 2014 l’exposition Matière Grise, commanditée par le Pavillon de l’Arsenal et dont les commissaires étaient les architectes d’Encore Heureux. L’exposition qui invitait à utiliser « plus de matière grise » et « moins de matières premières », présentait 75 projets de réemploi à travers le monde et soulignait le potentiel d’une telle pratique. Elle deviendra par la suite itinérante et sera présentée en de nombreux endroits en France et à l’international. Ce sera le cas notamment à Barcelone ainsi qu’au Colegio Oficial de Arquitectos de Madrid (COAM) en 2017 ou à Anglet en 2019.

À Bruxelles, c’est l’exposition Life under a cherry tree des Belges de Rotor qui présentait en 2019 à La Loge une série de matériaux issus de déconstructions ainsi qu’une réflexion sur leur réemploi. Cette exposition faisait suite à d’autres sur le même sujet en 2015 à Liège (Deconstruction), en 2016 à Bordeaux (Deconstruction) au sein de l’exposition constellation.s imaginée par arc en rêve centre d’architecture, en 2017 à Hasselt autour du réemploi de carreaux de céramique (Ceramic tiles), ainsi qu’à une réflexion en 2013 sur l’architecture durable à la Oslo Architecture Triennale (Behind the Green Door) ou à une autre en 2010 sur l’usure des matériaux (Usus/usures) protagoniste du pavillon belge à la Biennale de Venise.

Les Danois du Lendager Group présentaient quant à eux en 2017 au Danish Architecture Centre l’exposition Wasteland (voir un article à ce sujet sur le site Archdaily).

Le travail des Anglais d’Assemble faisait l’objet d’une exposition en 2017 au Architekturzentrum Wien (Az W) sous le titre How We Build. Celui des Suisses du Baubüro in situ était pour sa part présenté en 2018 au Musée Suisse d’Architecture à Bâle (S AM) au sein de l’exposition Transform et a fait très récemment partie d’une exposition à Graz à la Haus Der Architektur (HDA), Material Loops, qui regroupe des travaux théoriques et pratiques autour des matériaux de réemploi. Y sont par ailleurs exposés des projets allemands, autrichiens ou néerlandais, dont ceux de Superuse Studios.


L’exposition Matière Grise s’accompagnait d’un ouvrage, réédité il y a peu, toujours par le Pavillon de l’Arsenal et disponible ici

Assemble – 2

L’expérience des carreaux artisanaux en béton présentée dans la première partie de l’article n’est pas la seule de ce genre menée par Assemble. Au sein du Granby Workshop à Liverpool, le collectif mène quantité d’autres expérimentations en collaboration avec des artistes et artisans locaux ainsi qu’avec les habitants du quartier. Cette entreprise sociale forme à la fabrication de produits artisanaux et soutient l’emploi et la créativité. Elle fait partie du projet communautaire Granby Four Streets de réhabilitation du quartier de Granby, fortement endommagé par des démolitions et dont ne subsistent que quatre rues de maisons mitoyennes datant de l’époque victorienne. Le projet est mené par les habitants eux-mêmes via un Community Land Trust, le Granby Four Streets CLT, et a pour but de rendre accessibles aux habitants certaines des maisons laissées à l’abandon. Dans ce contexte, Assemble a participé à la transformation de deux maisons en un jardin d’hiver partagé (Granby Winter Garden), et à la remise à neuf de plusieurs maisons (10 Houses on Cairns Street), ainsi qu’à la création du Granby Workshop lui-même.

Les premiers produits réalisés par le Granby Workshop l’ont été à destination des maisons en rénovation : carrelage de salle-de-bain, poignées de portes, manteaux de cheminée… D’autres seront par la suite proposés à la vente sur le site de l’atelier dont les bénéfices serviront notamment aux reconstructions. Dans une démarche à mi-chemin de la réutilisation et du recyclage, les matériaux utilisés sont locaux et issus principalement des maisons à l’abandon. Des morceaux de briques, d’ardoises ou de pierres sont ainsi moulés avec du sable et du ciment, polis puis transformés en un ensemble d’objets. Des briques ou des chutes de bois servent par ailleurs à la création de motifs pour des textiles.

Cette série d’expérimentations a conduit Assemble et le Granby Workshop à la production de carrelage pour le Pavillon Central de la Biennale d’Architecture de Venise (16e Exposition Internationale d’Architecture) en 2018. L’installation de milliers de carreaux de céramique artisanaux y était présentée sous le nom de The Factory Floor. Le procédé de fabrication des carreaux réinvente une technique traditionnelle (encaustic clay tiles) : les carreaux d’argile ne sont pas émaillés et la couleur ou le motif visibles en surface sont formés dans la masse, en combinant aléatoirement des morceaux d’argile de différentes couleurs dans un moule à haute pression. Ce procédé les rend extrême résistants, utilisables sur murs ou au sol, en intérieur comme en extérieur, et facilite leur démontage et leur réemploi. Ça a d’ailleurs été le cas à la fin de la Biennale. Les carreaux ont en effet été démontés et réemployés, toujours à Venise, dans un jardin accessible au public (Laguna Viva).

L’attrait d’Assemble pour la fabrication artisanale des objets et matériaux qui forment notre environnement construit est visible au travers de nombreux projets et expositions. Cette « sympathie des choses », pour reprendre le titre du documentaire radio présenté par le collectif et produit pour la BBC (The Sympathy of Things), cet attachement au travail et à l’héritage social et culturel qu’elles représentent, est peut-être l’une des clés qui nous permettra de sortir du cercle vicieux du tout jetable et conduira à leur préservation et à leur réemploi !

Assemble – 1

Collectif anglais se définissant à mi-chemin entre l’art, le design et l’architecture, Assemble n’a pas forcément le réemploi comme principale préoccupation. Il fait cependant de celui-ci un outil important au service d’une pratique sociale, coopérative et démocratique où la recherche, l’auto-construction, la formation ainsi que les techniques artisanales et traditionnelles ont également une place de choix.

Fondé en 2010 pour mener à bien un premier projet, le collectif manifeste d’entrée de jeu son intérêt pour un réemploi bien particulier, celui des bâtiments eux-mêmes. Le projet The Cineroleum investit en effet une station-service londonienne désaffectée et se veut une réflexion sur le devenir de ces infrastructures au Royaume-Uni. Le lieu sera transformé en un cinéma éphémère, sorte de prototype expérimental entouré d’une membrane se baissant ou se levant à la manière d’un rideau de scène. De nombreux matériaux y seront réutilisés ou réemployés : tables et chaises d’école en formica, planches d’échafaudages pour réaliser les strapontins… Auto-construit par de nombreux bénévoles avec l’aide de guides pratiques rédigés en cours de projet, The Cineroleum se veut la célébration de l’expérience sociale tant du cinéma que du processus d’expérimentation ayant mené à la transformation du lieu.

Assemble mènera par la suite d’autres projets au caractère social et culturel fort, souvent éphémères et où le réemploi et la réutilisation continuent de jouer un rôle important. À Londres, l’OTO Project Space est un espace polyvalent en lien avec la salle de musique Cafe OTO. Située sur un site à l’abandon, la construction est faite en bonne partie des décombres présents sur place. Les débris de démolition y sont utilisés comme matière première : la terre et les gravats ont été rassemblés, mis en sacs et comprimés par des bénévoles afin d’obtenir de nouveaux éléments constructifs pouvant s’assembler comme des moellons. Un enduit, lui aussi à base de gravats, et une toiture en bois complètent le tout. Ce mode constructif, plus proche du recyclage que du réemploi strict, marque une volonté forte d’utilisation de matériaux locaux et de réduction des déchets tout en revisitant la tradition anglaise de fabrication des briques en argile.

Une autre des caractéristiques de ces projets éphémères est la redistribution des éléments qui les constituent. Les techniques de montage permettent en effet souvent leur réemploi postérieur. C’est le cas des blocs en bois qui formaient la façade du projet Folly for a Flyover, réemployés pour créer de nouveaux espaces de jeux et de plantations dans une école primaire. C’est aussi le cas du projet Yardhouse qui intégrait son futur démontage dès la conception. Construite par Assemble au sein des Sugarhouse Studios, une expérience d’architecture et d’urbanisme temporaire et transitoire menée en collaboration avec la London Legacy Development Corporation, la Yardhouse regroupait une série d’ateliers autour d’un grand espace commun. Le bâtiment à ossature bois enveloppé de panneaux isolants avait sa façade principale couverte de carreaux colorés en béton, réalisés à la main et in situ. Il a été déconstruit lorsque les Sugarhouse Studios ont été relogés sur le site d’une nouvelle occupation temporaire (Sugarhouse Studios Bermondsey). Le choix des matériaux ainsi que leur mise en œuvre a permis non seulement une réduction des coûts mais aussi leur potentiel futur réemploi. La Yardhouse reste toutefois dans l’attente d’un réassemblage.

À travers ces expérimentations faites d’une multitude de pratiques, si Assemble ne fait pas acte de professionnalisation du réemploi, il ne tombe pas non plus dans l’excès d’une esthétisation à outrance du bricolage. Le collectif ne fait en effet usage du réemploi que s’il sert un but en accord avec ses valeurs !