Exhibitions – 3

Il est une exposition qui témoigne de l’intérêt pour le réemploi dont fait preuve à la fois le Pavillon de l’Arsenal à Paris mais aussi une partie toujours croissante des acteurs parisiens du secteur de la construction. L’exposition Conserver Adapter Transmettre, qui s’est achevée au mois de mars de cette année, présentait en effet une quarantaine de projets parisiens ayant fait le choix de ne pas démolir l’existant, en partant notamment du constat que chaque mètre carré neuf construit émet environ 1,5 tonnes de CO2 pendant 50 ans. Il s’agissait de projets récents, en cours de réalisation, dont les permis ont été déposés entre 2020 et 2022. Des projets de transformation de l’existant donc (qui représentent 70% des autorisations d’urbanisme déposées à Paris) où le réemploi des matériaux a aussi son importance, et qui mettent en avant de “nouveaux modes de fabrication qui conjuguent enjeux climatiques, volontés patrimoniales et programmations adaptées aux attentes contemporaines”. Ces projets sont une véritable inspiration pour qui voudrait développer en parallèle la filière du réemploi et celle des matières bio et géosourcées.

C’est le cas du projet Au Fil du Rail (19e) des architectes de Grand Huit, la reconversion d’un ancien bâtiment industriel en lieu ressource de l’économie circulaire et solidaire dans les champs de l’alimentation et du textile, initialement prévu pour 2023. Devrait y être pratiqué un réemploi des matériaux in situ et ex situ. Des menuiseries de l’ancienne préfecture Morland y seraient, par exemple, intégrées à l’enveloppe du bâtiment. C’est le cas également du super-équipement Pinard (14e) de l’agence ChartierDalix, aidée de R-Use pour le réemploi. Prévue pour 2025, il s’agit de la transfromation d’une ancienne maternité en équipement hybride rassemblant crèche, école, gymnase et tiers-lieu ouvert aux habitants. 49,6% de la masse de matériaux y est annoncée comme provenant de matériaux réemployés ou recyclés, dont 100% des tuiles en terre, des briques, de l’huisserie bois et de la menuiserie existante, ce qui réduirait de 11,6% les émissions carbone du projet. Démarche de réemploi également pour le projet de surélévation Lenoir (11e), la réhabilitation d’un bâtiment d’activités artisanales afin d’y ajouter des niveaux de logements sociaux, prévue pour 2024. Pour cette surélévation, les architectes de chez Boman, aidés de Bellastock pour le réemploi, auraient recours à des matériaux issus de la déconstruction d’immeubles appartenant à Paris Habitat, dont du parquet, du carrelage, des portes ou encore des équipements électriques. Ce sont des éléments intérieurs issus du réemploi qui seraient également mis à profit par l’agence Archikubik, aidée de Mobius, dans le projet de la Scène des Loges (15e), un ancien garage reconverti en logements, prévu pour 2024. Qu’autant de projets veuillent faire appel au réemploi sur un territoire aussi restreint est bien la preuve que quelque chose est en train de changer. La visibilité offerte par de telles expositions interrogeant nos modes de construction est également significatif de l’émergence de nouvelles pratiques constructives. Et parmi celles-ci, le réemploi des matériaux de construction semble avoir toute sa place.

Au-delà de cette exposition, l’intérêt du Pavillon de l’Arsenal pour le réemploi ne date en effet pas d’hier. On se souvient bien sûr de l’exposition Matière Grise (2014 à 2015), dont nous vous parlions déjà ici et qui reste une référence et l’exposition la plus complète sur le sujet, mais elle est loin d’être la seule. En 2012 déjà, l’exposition Re.architecture, se faisait l’écho de telles pratiques en présentant le travail singulier de 15 agences européenes dont faisaient partie Assemble, le Collectif Etc, Raumlabor ou encore Rotor. En 2016, l’exposition des résultats de l’appel à projets urbains innovants Réinventer Paris donnait également à voir des projets pour lesquels le réemploi était une donnée essentielle. Parmi ceux-ci, celui du site Morland ainsi que la future Ferme du Rail, dont nous vous avons déjà parlé. D’autres projets développés dans le cadre de l’accélérateur de projets architecturaux et urbains innovants FAIRE seront exposés au Pavillon de l’Arsenal. C’est le cas en 2022 de la recherche menée par Cigüe sur le béton de plâtre à base de réemploi, dont nous vous avons déjà parlé ou de FabBRICK en 2018, un projet de briques en textile de réemploi, conçu par l’architecte Clarisse Merlet. C’est le cas également des projets M.E.G.A. de Niveau Zéro Atelier et Terres émaillées de Lucie Ponard, qui utilisent tous deux des terres d’excavation parisiennes pour la production d’objets ou de carreaux. Ces projets, ainsi que FabBRICK, feront partie de l’eposition Séries Limitées de 2022. Dans le même esprit, l’exposition Terres de Paris (2016 à 2017), présente le travail des architectes de l’agence d’architecture Joly&Loiret sur la construction en terre crue issue du sous-sol parisien. Dans le cadre de l’accélérateur FAIRE et du Studiolo, un programme de mini-expositions, l’installation datant de 2021 Académie du climat x 36 étudiants architectes x Encore Heureux: un café en projet raconte la conception collaborative sous la direction d’Encore Heureux du futur café de l’Académie du climat à Paris, où le réemploi des matériaux a été une donnée importante. Également présenté dans le cadre du Studiolo en 2021 et de l’accélérateur FAIRE, le projet Ceci n’est pas une porte voit la récupération et la transformation de 1200 portes issues d’un ancien hôpital parisien, soit 60 m³ de matière. Les expérimentations et la création de mobilier par les architectes Vincent Parreira et Marie Brodin, accompagnés par Mobius, spécialisé dans le conseil en réemploi, déboucheront à cette occasion sur la fabrication de plus de 200 tables, avec l’aide de personnes en réinsertion professionnelle de l’association ARES (Association pour la Réinsertion Économique et Sociale).

De façon plus générale, l’attrait des équipes du Pavillon de l’Arsenal pour les matériaux naturels et locaux comme la terre ou la pierre (voir l’exposition Pierre de 2018) et les artisans qui les mettent en oeuvre (voir l’exposition Ressources de 2022), combiné aux préoccupations sociétales ou environnementales (en témoigne l’exposition Et demain, on fait quoi? présentée au moment de la crise Covid en 2020 ou les récentes expositions de 2023 Espaces Ferroviaires, matières vivantes ou [Ré]inventer l’existant) traduisent le besoin d’une nouvelle façon de concevoir l’architecture, à laquelle appartient le réemploi. Et s’il n’est bien sûr pas exclusivement question de réemploi dans ces différentes exposition, elles donnent néanmoins très souvent à voir les raisons ou les moyens qui peuvent faciliter son émergence ou, peut-être un jour, sa généralisation!


L’exposition Conserver Adapter Transmettre s’est achevée le 5 mars 2023 et a donné lieu à la publication d’un ouvrage portant le même titre, Conserver Adapter Transmettre.

More bricks

Nous vous parlions il y a peu du réemploi de briques pleines en terre cuite. Si l’idée première reste de récupérer les briques individuellement, de les débarasser des restes de mortier pour pouvoir, une nouvelle fois, les maçonner de façon traditionnelle, ce n’est toutefois pas toujours possible. Quand la qualité des matériaux mis en oeuvre ou la trop grande résistance des liants utilisés ne permettent pas le réemploi brique à brique, il convient dès lors d’imaginer d’autres façons de travailler et de développer des techniques innovantes de réemploi. Si le réemploi brique à brique reste la façon la plus courante d’intégrer ces éléments à de nouveaux projets, envisageons ici deux autres manières de faire.

Dès les annés 1970, apparaissent donc de nouveaux mortiers à base de ciment ou de colle, plus résistants et plus adhérents, ce qui complique la récupération et le nettoyage des briques. Pour remédier à cela, une entreprise danoise, le Lendager Group, imagine une alternative mise en application dans le projet d’immeuble de logements, Resource Rows (2020) à Copenhague (Danemark). La façade du bâtiment est en effet recouverte de modules préfabriqués constitués de panneaux de briques de différents types, origines, appareillage et couleurs, et découpés dans d’anciens murs destinés à la démolition. Ces morceaux de murs obtenus par découpe sont assemblés à la manière d’un patchwork puis utilisés en parement. Notons que la réflexion du Lendager Group à propos du réemploi ne s’arrête pas à la seule utilisation de briques, puisque du bois ainsi qu’une poutre en béton sont également réemployés dans ce projet. Le groupe continuera par ailleurs à s’intéresser au réemploi à travers d’autres projets et mettra en place l’exposition Wasteland, dont nous vous parlions ici.

Une troisième façon de réemployer des briques est d’en intégrer de façon aléatoire les débris, plus ou moins gros, aux murs et parois de nouvelles constructions, souvent constitués de modules préfabriqués en béton. Bien que la brique ne soit plus ni entière, ni maçonnée de façon traditionnelle, on continue néanmoins à la relier à son histoire. Pour faire référence au côté aléatoire de la mise en oeuvre, il est parfois question dans de pareils cas de opus incertum. Cependant, afin de donner une meilleure idée de la technique employée et même s’il est difficile de la nommer avec précision, nous préfèrerons parler de béton cyclopéen. Au-delà du fait qu’elle apporte une solution aux diffucultés liées à l’utilisation de ciments plus résistants, cette technique permet également de faire le réemploi d’autres types de briques, briques creuses par exemple, difficiles à réemployer à la pièce. Le béton cyclopéen intégrant des morceaux de briques issus de démolitions est présent dans de nombreux projets au Paraguay (dont nous vous parlions ici et ici) et parmi lesquels on peut citer plusieurs projets du Gabinete de arquitectura (Centro de Rehabilitación Infantil de la Teletón, Quincho Tia Coral, Fundación TEXO, banco BASA) ainsi que le projet Fuelle Roga (OMCM Escritorio de Arquitectura y Urbanismo) dont est issue la photo ci-dessus, la Casa Ana (Mínimo Común Arquitectura) et la Casa Ilona (Grupo Culata Jovái), mais aussi le Pabellón de Composta (Gabinete de arquitectura), construit au Mexique, ou la Casa Angatuba (messina | rivas), construite au Brésil. Au Brésil également, notons la Residência Rua Pombal (São Paulo Criação). Voir au sujet de ce dernier projet un article Archdaily. En Belgique, c’est l’Atelier d’Architecture Alain Richard qui expérimente la préfabrication de modules en béton avec agrégats de briques en terre cuite. Ceux-ci seront notamment utilisés pour former le mur d’enceinte d’un bâtiment de bureaux et d’ateliers.

Dans cette démarche entre réemploi et recyclage, des fragments de plus petite échelle sont utilisés historiquement dans ce qu’on appelle souvent l’opus signinum ou cocciopesto, mortier aux propriétés imperméables, posé en plusieurs couches, résultant d’un mélange d’eau, de chaux et de tuileau (tuiles ou briques de terre cuite broyées), ce qui pourrait se rapprocher de notre terrazzo moderne (voir sur ce sujet une publication de Véronique Vassal dans le Journal of Mosaic Research). Si les spécialistes ne s’accordent pas toujours sur les termes exacts à employer pour désigner de tels matériaux, constatons simplement que des applications modernes intégrant des débris de briques en terre cuite existent bel et bien (voir à ce sujet un article sur le site de Bobi réemploi). Ainsi, les français de l’Atelier NA ont mené des ateliers de création de béton à partir de gravats de réemploi. Les français de chez Ciguë mènent également des recherches dans ce sens, mais sur un béton de plâtre faisant l’impasse sur le ciment et intégrant des gravats de réemploi. Leur travail a donné lieu à une exposition au Pavillon de l’Arsenal cette année, ainsi qu’à une étude disponible ici. La designeuse et chercheuse Anna Saint Pierre expérimente également l’intégration de divers débris issus de démolitions, et notamment par la création de terrazzo (voir un article de la revue Metropolis à ce sujet). Les allemands de chez TFOB (They Feed Of Buildings) travaillent eux aussi dans cette direction à travers leur projet Urban Terrazzo et les anglais de chez Apt ont collaboré avec Huguet, une manufacture basée à Mallorque, afin d’intégrer des débris de briques à un terrazzo. On se souvient également des expérimentations d’Assemble et du Granby Workshop qui intégraient de tels débris à leurs objets moulés. S’il est encore une fois difficile de nommer avec précision les matériaux obtenus, granito, terrazzo, mortier ou béton, les matières utilisées, leur échelle ainsi que les techniques mises en œuvre étant souvent différentes, c’est n’est pas ce qui nous préoccupe ici. L’important reste d’imaginer de nouvelles solutions au problème des déchets de constructions et de la brique en particulier pour ce qui est de cet article.

CHARM

Le projet européen (Interreg North-West Europe) CHARM (Circular Housing Asset Renovation & Management) a pour objectif principal l’optimisation du réemploi des matériaux de construction dans la gestion, la rénovation et la construction de logements sociaux. Le projet tend en effet à s’éloigner de la tendance actuelle qui consiste à améliorer le recyclage des déchets de construction et de démolition (DCD) mais aboutit bien souvent à une forme de sous-recyclage (downcycling). Ce qui est visé ici, c’est donc bien un réemploi optimal des matériaux de construction. Au-delà de la démonstration, le projet CHARM a également pour objectif de favoriser l’adoption de cette approche innovante par ses partenaires ainsi que par l’ensemble du secteur. Ce projet regroupe différents organismes de logement social autour de la TU Delft (Delft University of Technology) ainsi que d’autres acteurs du monde du logement ou de la recherche. Sont annoncées 40 000 tonnes de matériaux qui pourraient être sauvées annuellement du downcycling rien que par les différents organismes partenaires!

Le projet CHARM a des objectifs très proches de ceux d’autres projets européens, FCRBE ou BAMB, avec lesquels il collabore mais se concentre néanmoins sur l’économie circulaire dans le logement social. Des stratégies spécifiques permettant la circulation des matériaux de réemploi sont ainsi mises en place au sein de projets pilotes menés dans 4 pays par les différents organismes de logement social partenaires. L’émission de directives et la mise en place de plateformes d’échange doivent aider au développement de ces stratégies. Celles-ci peuvent s’appliquer à la rénovations ou à la nouvelle construction et concernent du réemploi in-situ ou ex-situ, ainsi que le design et la construction en vue du réemploi.

Ainsi, en Angleterre, ce sont des logements en bois qui seront construits par GreenSquareAccord avec l’objectif de favoriser leur montage, démontage et remontage mais aussi le réemploi de leurs composants. En France, Paris Habitat utilisera pour sa part l’expérience de projets pilotes antérieurs pour mener à bien plusieurs opérations de rénovation (en collaboration notamment avec la Ville de Paris et Backacia) dans le but d’y doubler le volume de réemloi et de développer une plateforme d’échange de matériaux. Afin de les sensibiliser à l’utilisation de matériaux de réemploi, le projet néerlandais de Woonbedrijf visera quant à lui l’implication des futurs locataires et du voisinage dans le processus de création de nouvelles constructions pensées également en vue d’une future déconstruction. En Belgique enfin, Zonnige Kempen (accompagné notamment par Rotor) se chargera entre autres d’une rénovation avec stockage et réemploi sur site ainsi que de la création d’une plateforme d’échange de matériaux et comparera le taux de récupération de matériaux issus de la déconstruction à celui d’un projet similaire mais mené par démolition.


Une description plus détaillée des différents projets pilotes peut être trouvée ici.

Reuse at school

Les projets belges BRIC et MØDÜLL, dont nous vous parlions ici, mêlant réemploi et formation, s’adressent principalement aux appreants des métiers techniques de la construction. Mais d’autres projets s’adressent quant à eux davantage aux étudiants ingénieurs ou d’écoles d’art et d’architecture. Voici une liste non exhaustive de projets aux objectifs parfois divers mais ayant tous en commun une forme d’expérimentation du réemploi:

  • La Brighton Waste House est un bâtiment constitué à 85% de déchets de construction. Hébergé sur le site de la University of Brighton (Royaume-Uni), il est quotidiennement utilisé par les étudiants. Ce sont aussi plus de 300 étudiants en architecture et design ainsi que des apprenants des métiers de la construction qui ont participé à sa construction, entre 2013 et 2014, sous la conduite notamment de l’architecte Duncan Baker-Brown. En outre, ce dernier a pris part à la School of Re-construction tenue dans le cadre du projet européen FCRBE et est égalament l’auteur de “The Re-Use Atlas: A Designer’s Guide Towards a Circular Economy”.
  • Rural Studio est un programme de conception-réalisation mené par la School of Architecture, Planning and Landscape Architecture of Auburn University (Alabama, États-Unis) dont le but est de sensibiliser ses étudiants au contexte social des projets d’architecture, tout en fournissant des bâtiments à destination des plus précaires. Plus de 200 projets impliquant un bon millier d’étudiants font ainsi la part belle aux matériaux locaux et peu chers dont de nombreux matériaux isssus du réemploi.
  • L’espace d’exposition RAKE (RAKE Visningsrom) à Trondheim (Norvège) est le résultat d’un workshop par et pour des étudiants d’écoles d’art et d’architecture de Trondheim, Oslo et Bergen, datant de 2011. Le pavillon, déplacé en 2014, met en exergue le réemploi des matériaux, à l’image notamment de l’enveloppe extérieure constituée de fenêtres réemployées. Voir à ce sujet un article sur le site ArchDaily.
  • Les architectes norvégiens de TYIN Tegnestue, qui accompagnaient déjà le processus de construction de l’espace d’exposition RAKE, ont pris pour habitude d’impliquer de nombreux étudiants en architecture à leurs projets intégrant des matériaux locaux et issus du réemploi. De nombreux projets ont été réalisés en collaboration avec des communautés locales, en Asie notamment, mais aussi en Europe. Le projet Porto Marghera, réalisé à Venise en 2013 par des étudiants de l’université locale (Iuav) consistait ainsi en un ensemble de structures en bois de réemploi, issu du pavillon canadien de la Biennale d’Architecture de l’année précédente. Des étudiants du Tecnológico de Monterrey, Puebla (Mexique) et de la NTNU, Norges teknisk-naturvitenskapelige universitet (Norvège) ont participé pour leur part à l’élaboration d’un pavillon en bois entièremnt réversible (Lyset paa Lista) à Lista (Norvège) en 2013.
  • L’architecte sévillan Santiago Cirugeda, à travers son bureau d’architecture Recetas Urbanas, promeut l’auto-construction, l’auto-gestion ou encore l’expérimentation dans une logique de participation et d’appropriation citoyenne. L’un de ses thèmes de prédilection est le réemploi des matériaux et de nombreux étudiants ont pris part à ses projets. Ainsi, l’espace Aula Abierta était construit en 2004 à Grenade, à partir de matériaux réemployés, par des étudiants en arts de la Universidad de Granada et sera par la suite démonté puis reconstruit à Séville en 2012. En 2016 était inaugurée l’extension de la Escuela Superior de Diseño de Madrid, réalisée par et pour les étudiants et leurs professeurs. Le projet baptisé La Escuela Crece peut se targuer de faire usage de 85% de matériaux réemployés.
  • Le festival Bellastock crée en France il y a plus de 15 ans par la coopérative d’architecture du même nom, propose chaque année la création d’une ville éphémère expérimentale à l’échelle 1:1 aux étudiants principalement d’écoles d’art ou d’architecture. Les expérimentations concernent notamment le réemploi des matériaux. Le festival s’est exporté à l’étranger, à Madrid, en 2012, 2013 et 2014, porté par le collectif Madstock.
  • En France, dans le cadre du projet pédagogique Pôle 21 et de ses enseignements à l’École Nationale Supérieure d’Architecture (ENSA) Marseille, Jean-Marc Huygen, auteur notamment de “La poubelle et l’architecte – Vers le réemploi des matériaux” mais aussi porteur du projet d’un réseau européen du réemploi lancé en 2009, participe aux expérimentations mettant en oeuvre des matériaux soutenables ou de réemploi. Les étudiants de l’ENSA Marseille et de l’Université Grenoble Alpes (UGA) puis de l’ENSA Grenoble ont ainsi pratiqué le glanage de matériaux et l’auto-construction sur le site de Barjols (Université Populaire de Barjols sur les Arts du Territoire, UBAT), ou plus récemment de Correns et de Eurre (Biovallée). Pour plus d’informations, voir l’ouvrage collectif “Pôle 21 – 2 ans de réemploi à Barjols” ainsi qu’un retour d’expérience publié sur le site de l’UGA. Auparavant, toujours selon la même logique, Jean-Marc Huygen avait en compagnie de nombreux étudiants, de 2010 à 2012, participé aux expérimentations de la Friche la Belle de Mai. Plus d’informations sont à retrouver sur le site matieras.eu.
  • Dans le cadre d’une initiation au réemploi en architecture pour des étudiants architectes et ingénieurs (ENSA Grenoble et UGA), encadrée par l’agence NA architecture, deux prototypes d’abri vélo ont été réalisés et exposés à Grenoble (France).
  • Dans le cadre de ses enseignements à l’ENSA Paris-Belleville et Bretagne, l’architecte français Cyrille Hanappe (AIR Architectures et Actes et Cités) amène ses étudiants à travailler avec les habitants en situation précaire, et en faisant notamment usage du réemploi. Ils ont par exemple participé à la conception d’une cuisine collective pour les habitants d’un bidonville (réemploi de portes et fenêtres), ainsi qu’à celle d’un lavoir et d’une salle communautaire (réemploi de bois de caisses de déménagement, de panneaux signalétiques, de fenêtres).
  • L’Atelier Na, qui mène des expérimentations liées au réemploi, a participé à des universités d’été, des séminaires ou chantiers participatifs et a notamment réalisé deux modules à partir de matériaux de réemploi, en collaboration avec des étudiants de l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) Strasbourg (France).
  • Le collectif d’architectes allemand raumlaborberlin, spécialisé dans les projets participatifs mettant en oeuvre des matériaux considérés comme des déchets a notamment mené un worshop en 2011, auquel ont participé des étudiants venant de toute l’Italie, pour construire la Officina Roma, une villa éphémère constituée entre autres de bouteilles, de portes de voitures et de bidons d’essence. Le projet a été réalisé dans le cadre de l’exposition “Re-Cycle: Strategies for Architecture, City and Planet” proposée par le MAXXI (Museo nazionale delle arti del XXI secolo) de Rome en 2012. En 2018, à Berlin, le collectif a construit avec de nombreux étudiants la Floating University, lieu d’étude et de recherche devenu depuis association. Au sujet de la Officina Roma, voir cet article de Designboom et au sujet de la Floating University, cet autre article ArchDaily.
  • Dans le cadre du German National Garden Show (BUGA) à Heilbronn (Allemagne) en 2019, des étudiants du Karlsruher Institut für Technologie (KIT) ont participé aux côtés de professeurs à la création du Mehr.WERT.Garten (Added.VALUE.Garden) et du Mehr.WERT.Pavilion. Le pavillon et ses alentours étaient composés principalement de matériaux réemployés ou recyclés, tels que le métal de réemploi constitutif de la structure ou le verre dont est fait l’enveloppe.
  • Le workshop Ephemeral Permanence 1:1, réalisé en 2022 dans le cadre de la cinquième International Conference on Structures and Architecture, à Aalborg (Danemark), a vu les étudiants de différentes universités faire l’expérience d’une construction circulaire. Réemploi de matériaux (colonnes métaliques, poutres et panneaux en bois, blocs de béton, briques, tuiles) mais aussi conception d’un petit pavillon entièrement démontable (utilisation d’étaux métalliques et de cordons élastiques pour l’assemblage) étaient au menu de cette expérimentation dont l’encadrement était lui aussi issu de différentes institutions (Aalborg University, ETH Zürich et University of Antwerp). Voir à ce sujet un article sur le site ArchDaily.
  • Nous nous souvenons aussi de la participation des étudiants de la ZHAW (Fachhochschule de Zurich à Winterthur) aux travaux des architectes du Baubüro in situ.

Ferme du Rail

La Ferme du Rail, inaugurée à Paris (XIXe) en 2019, est un équipement de quartier autour de l’agriculture urbaine. Situé sur un terrain difficile d’accès, le long d’une voie de chemin de fer désaffectée, il se veut un espace de production agricole mais aussi un lieu de solidarité, d’hébergement, de formation, de restauration et de rencontre. Les deux bâtiments de la ferme regroupent en effet autour d’un potager central une cantine-restaurant, un hangar et une serre, auxquels s’ajoutent vingt logements destinés à des travailleurs en insertion et à des étudiants ingénieurs, architectes ou en horticulture. Cette ferme low-tech, à la conception bioclimatique, aux matériaux biosourcés ou de réemploi, tournée vers la permaculture et à finalité sociale est née de l’appel à projets urbains innovants Réinventer Paris, lancé en 2014.

À l’origine du projet, on retrouve la coopérative d’architecture Grand Huit qui inscrit son action dans le champ de l’économie circulaire mais aussi sociale et solidaire, ainsi que la paysagiste Mélanie Drevet. Ces habitants et usagers du quartier s’entourent d’une série d’acteurs qui deviendront les futurs exploitants du lieu, tels que l’entreprise d’insertion Travail et Vie, les associations Atoll 75 et Bail Pour Tous, mais aussi la foncière sociale Réhabail qui prendra en charge la maîtrise d’ouvrage. Celle-ci se fera dans un contexte particulier puisque la Ville de Paris reste propriétaire de la parcelle, cédée dans le cadre d’un bail à construction de 50 ans. L’accès au sol facilité par les pouvoirs publics se complète d’une mosaïque de financements publics et privés. Ceci permet d’envisager un programme ambicieux tant sur le plan écologique que social. Et le réemploi des matériaux, en répondant à ces deux impératifs, allait devenir un élément important dans l’esprit des concepteurs, pour qui “réemployer les matériaux et travailler avec des personnes en insertion relève (…) de la même logique. Ne plus jeter et ne plus exclure.”¹

Faire avec “le déjà là”, avec “ce qui reste” devient pour les membres de Gran Huit l’un des aspectes d’une nouvelle façon de travailler. Pour eux, le réemploi, la “valorisation des délaissés”, a bien sûr une dimension pratique mais découle avant tout d’une posture morale et politique: “le réemploi n’est pas d’abord l’exploitation de nouveaux «gisements», mais la revendication d’un soin inédit à l’égard de la matière et des personnes”¹. Au-delà des impératifs environnementaux, c’est un moyen pour les architectes de “préserver un accès au travail pour tous, signifiant et non oppressif”¹ car faire le choix d’un réemploi local est aussi pour eux une manière de réintroduire la fonction ouvrière et artisanale au centre de la ville.

D’autre part, ils insistent sur la dimension mémorielle du réemploi. Car si parmi les freins au réemploi, le plus important semble peut-être idéologique, il convient d’“éduquer les regards à percevoir la beauté de ces délaissés redevenus désirables”¹. Redonner leur véritable place aux matériaux et à ceux qui les travaillent, et donc au processus, les amène ainsi à rendre sa véritable valeur au moment du chantier. Il s’agit donc d’y associer très tôt les futurs usagers, dans l’esprit des permancences architecturales, mais aussi en faisant démarer certaines activités du site avant même son aménagement définitif. Il s’agit également de faire du chantier un espace démocratique de création, à l’environnement favorable à la formation. Plusieurs entreprises d’insertion seront d’ailleurs présentes sur le chantier de la ferme: 5 lots sur les 16 lots techniques leur ont été confiés. Voici donc une nouvelle façon de tenter de rendre à l’architecture sa dimension sociale, à l’opposé d’une architecture-objet. Mais si une ACV a été réalisée qui peut donner une idée des bienfaits à mettre à l’actif du bâtiment, à très faible impact environnemental (ossature bois, isolation en paille, vêture en bois de châtaginier, utilisation de matériaux biosourcés et de réemploi), elle ne tient néanmoins pas compte de l’aspect social du projet. Les architectes plaident donc pour de nouveaux indicateurs de richesse et une approche du “coût global” de chaque projet qui intégrerait cet aspect.

Suit ici une liste de matériaux réemployés sur le site du projet:

  • fenêtres en bois provenant de logements sociaux ayant été rénovés, transformées en jardinières de toiture faisant office de garde-corps (bois sablé, déligné et réassemblé en panneaux) ou en parquet en bois de bout pour la salle commune (même stock de bois, cette fois débité), le tout réalisé par l’Atelier R-are;
  • contreplaqué issu de la Fashion Week et destiné à la fabrication d’armoires pour les chambres;
  • pierres de voirie issues du stock de la Ville de Paris et utilisées pour l’aménagement du jardin (murs de soutènement en pierre sèche, emmarchements, dallage);
  • bâches publicitaires provenant de la Réserve des Arts transformées en stores par Les Résilientes;
  • carreaux de faïence dépareillés issus de fin de stock et destinés aux salles de bain (l’identité propre de chacune des salles nécessite un calepinage à chaque fois différent).

La découverte du réemploi et de son adéquation avec une démarche écologique et sociale a amené les architectes à développer cette pratique. Ainsi, le projet de la Maison des Canaux, à Paris (XIXe), dont le chantier est en cours et qui se veut un lieu de référence de l’économie circulaire, sociale et solidaire, a pour mission de devenir un démonstrateur du réemploi. Projet pilote mené dans le cadre du projet européen FCRBE, dont nous vous parlions déjà ici, il a pour objectif d’intégrer de 70 à 100% de matériaux issus d’un réemploi local!


¹ Le présent article s’inspire en grande partie du livre “La Ferme du Rail – Pour une ville écologique et solidaire” écrit par Clara et Philippe Simay, membres de la coopérative Grand Huit, et publié en 2022 aux éditions Actes Sud, dans la collection “Domaines du possible”. Toutes les citations reprises dans l’article en sont d’ailleurs extraites ainsi que certains termes spécifiques au projet.

Pour ce qui a trait plus spécifiquement au réemploi, une présentation de Clara Simay, effectuée dans le cadre de l’ICEB Café du 19 septembre 2019, est disponible sur le site de l’ICEB (Institut pour la Conception Écoresponsable du Bâti).

RE2020

Alors que va être lancé à Paris un syndicat des acteurs du réemploi des matériaux de construction, le contexte français est de plus en plus favorable au réemploi. Et le contexte législatif ne fait pas défaut. Nous vous avons déjà parlé du Permis de faire et de ses dérivés ainsi que du principe d’effets équivalents, ou plus récemment du diagnostic PEMD, mais un autre dispositif semble également avancer dans le sens du réemploi. Il s’agit de la Réglementation Environnementale 2020 (RE2020).

Prévue par la loi ELAN (loi nº2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) afin de limiter l’impact énergétique et environnemental des bâtiments neufs, la RE2020 remplace la réglementation thermique RT2012 qui visait l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments et la baisse des consommations, notamment via l’isolation. Si les objectifs de sobriété énergétique et de décarbonation de l’énergie sont toujours d’actualité avec la RE2020, s’y ajoutent une prise en compte du confort en cas de forte chaleur mais aussi la volonté de diminuer l’impact carbone des constructions en fixant des seuils amenés à évoluer dans le temps. C’est ce dernier point qui concerne particulièrement le réemploi des matériaux. Il introduit en effet une nouvelle méthodologie basée sur une analyse en cycle de vie (ACV) qui prend en compte l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’un bâtiment tout au long de sa vie, de la construction à la démolition. Dans le cas de bâtiments neufs, ces deux phases (construction et démolition) regroupent à elles seules 60% à 90% de l’impact carbone calculé sur une durée de 50 ans. La prise en compte des émissions d’un bâtiment dès sa construction permet d’avoir un impact sur les choix constructifs et donc de privilégier les solutions peu émettrices, dont le réemploi fait partie. Par ailleurs, a été privilégiée une ACV dite dynamique (et non statique) qui attribue un poids plus important aux GES émis au début du cycle de vie.

Plusieurs textes de loi précisent les exigences de la RE2020 et réorganisent le Code de la construction et de l’habitation français (CCH). L’arrêté du 4 août 2021 détaille quant à lui la méthode de calcul de l’impact environnemental en intégrant une convention spécifique liée à l’utilisation de composants issus du réemploi ou de la réutilisation qui “sont considérés comme n’ayant aucun impact. Les valeurs des impacts pour tous les modules du cycle de vie sont donc nuls.” Si la prise en compte de l’impact environnemental des bâtiments dès leur construction semblait déjà favorable au réemploi, considérer que les matériaux issus du réemploi n’émettent pas de GES supplémentaire ne fait que renforcer leur attrait!

La RE2020 est deveunue obligatoire à partir du 1er janvier 2022 pour les nouveaux logements individuels et collectifs et le deviendra le 1er juillet 2022 pour la construction de bureaux et de bâtiments d’enseignement primaire ou secondaire. Des bâtiments tertiaires plus spécifiques seront soumis ultérieurement à cette obligation.


Pour en savoir plus sur la RE2020, le Ministère de la Transition Écologique français a créé un site dédié.

Collectif Etc – 3

Si le bois de palette est un élément récurrent des projets mêlant réutilisation et réemploi, un autre matériau standardisé qui lui est proche trouve une utilisation intéressante en 2012 dans le projet d’aménagement du jardin Michelet à Colombes, près de Paris. Il s’agit de panneaux de séchage pour parpaings, aux dimensions bien définies : 140×110×4 cm dans le cas qui nous occupe. Ces panneaux en bois sont par ailleurs fréquemment renforcés sur les côtés par des profilés métalliques.

Le jardin Michelet est pour sa part l’un des éléments du projet R-urban, porté par l’atelier d’architecture autogérée (aaa). Dans une logique de création de réseaux locaux et de circuits courts, ce projet d’économie sociale et solidaire regroupe différents pôles s’articulant autour des questions de l’habitat (EcoHab), du recyclage (RecycLab) ainsi que de l’agriculture urbaine (AgroCité). C’est dans le jardin qui abrite l’AgroCité, qu’est intervenu le Collecif Etc. Auto-construction et réemploi étaient bien entendu au menu ! L’intervention porte sur un espace technique et un autre de rencontre, reliés par un axe central. Leur système constructif suit une trame régulière déterminée par les dimensions standardisées des panneaux de bois. Ceux-ci recouvrent planchers et parois des différents espaces. La régularité de la trame facilite par ailleurs d’éventuels ajouts ou modifications.

Les planches de séchages et une série d’autres matériaux de construction de seconde main récupérés sur chantier ou achetés auprès de fournisseurs spécialisés ont ainsi été valorisés par le Collectif Etc mais aussi par l’atelier d’architecture autogérée au sein du projet principal de l’AgroCité. Ces ressources ont été recensées sur le site internet du projet. Un nouveau réemploi des éléments constitutifs de l’AgroCité (madriers, fenêtres, portes…) sera d’ailleurs pratiqué lors du déménagement du projet. Il sera en effet déconstruit puis reconstruit en 2018 sur un nouveau site, à Gennevilliers.

Une série d’informations plus techniques sur les panneaux de séchage sont notamment disponible sur le site Opalis. Les caractéristiques techniques observées en Espagne peuvent différer légèrement puisque les dimensions des panneaux y sont en général inférieures. Il est cependant tout aussi possible de s’y fournir en seconde main. Les panneaux souvent réalisés en bois de pin existent également en plastique ou en métal.

Collectif Etc – 2

Habitué au travail du bois, le Collectif Etc participe en 2016 au chantier de remontage d’une ancienne étable à colombages du XIXe siècle. Celui-ci a lieu sur le site de l’Écomusée d’Alsace, musée en plein air dédié aux traditions et à la vie actuelle. Ce réemploi, servi par les techniques traditionnelles de la construction en bois, fat suite à un travail préalable de déconstruction et de numérotage de la part des équipes du musée. La vision d’une tradition remise au goût du jour défendue par l’Écomusée se traduit, lors de la reconstruction, par la réinterprétation des techniques anciennes et l’utilisation de vis ou d’un mur en béton. D’anciennes tuiles artisanales seront également réemployées. Tout ceci nous rappelle l’importance de certaines techniques parfois oubliées et les leçons qu’il y aurait à en tirer alors que nous redécouvrons la déconstruction et le réemploi.

Toujours sur le site de l’Écomusée, le Collectif Etc mène en parallèle un travail de recomposition d’une autre structure à colombages. Cette fois-ci, des pièces sont manquantes et le plan n’existe plus : un véritable puzzle pour constructeur en kit avec comme seule piste la petite plaque métallique numérotée que portent certaines pièces en bois. Les inévitables difficultés rencontrées illustrent bien l’importance de la déconstruction et de la numérotation qui, si elles sont correctement effectuées, peuvent permettre un réemploi rapide de structures parfois très anciennes !

Collectif Etc – 1

Les architectes et constructeurs français du Collectif Etc ont choisi de questionner nos pratiques urbaines et architecturales dans une logique d’autogestion égalitaire par les usagers. Le collectif accorde dès lors une grande importance au processus de création et à l’expérimentation. Il a la volonté de tisser des liens avec une série d’acteurs aux compétences très diverses. Ceci a par exemple débouché sur un périple d’un an à vélo à la découverte de la «fabrique citoyenne de la ville» (Détour de France), sur une incursion dans le monde de l’édition (la cabane d’édition Hyperville) ou sur la fondation d’un lieu propre (l’Ambassade du Turfu). Ce brassage d’idées et de pratiques amène naturellement le collectif à travailler avec et pour le réemploi. La cité de chantier construite à proximité de la Grande Halle de Colombelles avec de nombreux matériaux de réemploi n’est pas leur seul projet dans ce domaine.

Ainsi, en 2012, sur invitation à Grenoble des Arpenteurs, le collectif participe à la transformation d’un ancien local de vente de piscine, bâtiment industriel fourni par l’Établissement Public Foncier Local (EPFL), pour en faire une fabrique de solutions pour l’habitat. Renommé la Piscine, le lieu allait permettre le débat et l’expérimentation autour des questions de l’habitat, notamment à travers l’auto-construction et la réutilisation. Divisé en plusieurs lots attribués à différents collectifs, l’ensemble regroupe un atelier de fabrication de meubles, un espace polyvalent de rencontre et d’échange, une cuisine et une réserve. Grâce à une collecte de matériaux, cette dernière sera organisée en ressourcerie en vue des travaux ainsi que du fonctionnement ultérieur du lieu. Sera réutilisé du bois de palettes : des centaines de planches destinées notamment à la création de deux grandes tables. Des chutes de rideaux seront réassemblés en une grande pièce séparant les espaces. D’anciens meubles ainsi qu’une baignoire viendront équiper la cuisine. Les chutes de bois serviront à la création de lettres utilisées en façade et qui donnent sa nouvelle identité au bâtiment. Dans une logique de transmission, des notices de fabrications seront par ailleurs adjointes aux différents meubles élaborés.

L’exposition Matière Grise du Pavillon de l’Arsenal à Paris, dont les architectes d’Encore Heureux sont les commissaires, voyagera par las suite à Nice en 2015 au Forum d’Urbanisme et d’Architecture pour y présenter des projets de réemploi. Cette nouvelle édition sera l’occasion d’une installation in situ de la part du collectif. Les restes de l’exposition précédente mais aussi le centre de tri des déchets du bâtiment de l’industriel Véolia leur fourniront les matériaux nécessaires à la création d’une gamme de mobilier, principalement du bois issu de planches de coffrage. Ces matériaux alimenteront également une ressourcerie présente au sein de l’exposition et mise à la disposition des visiteurs après avoir servi au projet lui-même. Le mauvais état de ces matériaux et les différentes actions nécessaires afin de pouvoir les utiliser (sélection, déclouage, redécoupage, ponçage…) illustrent bien la différence qu’il y a entre réutilisation et réemploi et les difficultés qu’il y a à travailler avec des ressources ayant acquis un statut de déchet.

Lors de la 16e Biennale Internationale d’Architecture de Venise en 2018, le collectif participe à l’élaboration de la scénographie du Pavillon Français dont les commissaires sont les architectes d’Encore Heureux. Mettant en avant dix expérimentation françaises, tant architecturales que sociales et culturelles, le thème du Pavillon, Lieux infinis, correspond bien au collectif qui ne construit pas tant des bâtiments que des lieux. La scénographie utilisera les restes de la contribution française à la Biennale d’Art de l’année précédente (Studio Venezia de l’artiste Xavier Veilhan) : des centaines de plaques de contre-plaqué okoumé. Au préalable démontées et stockées, elles seront réemployées in situ, habillant la structure de l’espace principal ou se transformant en assises et plateaux des tabourets, bancs et tables créés pour l’occasion.


D’autres projets liés au réemploi sont également décrits de façon exhaustive sur le site du collectif.

Loi AGEC

En France, outre les nouvelles possibilités offertes par le Permis de faire et ses dérivés, d’autres avancées législatives sont à l’ordre du jour, avec peut-être une portée plus concrète sur le monde du réemploi.

En effet, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, dite loi AGEC (loi nº 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire), fait évoluer le diagnostic déchets dans le sens d’un diagnostic ressources, en mettant en place un diagnostic « produits-matériaux-déchets ». Celui-ci concerne non seulement des démolitions mais aussi des réhabilitations significatives et a notamment pour objectif d’augmenter le taux de réemploi. Pour ce faire, l’article 51 qui modifie le Code de la construction et de l’habitation, définit un diagnostic qui « fournit les informations nécessaires relatives aux produits, matériaux et déchets en vue, en priorité, de leur réemploi ». L’article 59 qui modifie cette fois le Code de l’environnement, recommande pour sa part lors de la construction ou de la rénovation de bâtiments dans le cadre d’une commande publique, de veiller au « recours à des matériaux de réemploi ou issus de ressources renouvelables ». Un tel diagnostic doit être réalisé par des professionnels présentant des garanties de compétences et d’assurance. La liste des nouveaux métiers liés au monde du réemploi semble donc s’étoffer.

Les « catégories de bâtiments » et « la nature des travaux de démolition ou réhabilitation » faisant l’objet de cette obligation de diagnostic ont été récemment précisées par décret (Décret nº 2021-821 du 25 juin 2021). Celui-ci rappelle en outre la priorité à accorder au réemploi : il est ainsi prévu que le diagnostic devenu « produits-équipements-matériaux-déchets » (PEMD) détermine la nature, la quantité, la localisation et l’état des éléments pouvant être réemployés. Il fournira par ailleurs des indications sur les possibilités de réemploi ainsi que sur la dépose, le stockage ou le transport de ces éléments. Un tel diagnostic deviendra obligatoire dès 2022 !


De plus amples informations sur le sujet sont disponibles en français sur la plateforme collaborative DÉMOCLÈS. Celle-ci réunit ses partenaires issus du monde de la démolition autour d’une logique de prévention et de gestion des déchets, en envisageant d’autres voies que celle de l’unique recyclage.

En français toujours, le site materiauxreemploi.com publie régulièrement des articles détaillés sur ces sujets de droit, dont le replay d’une conférence qui fournit quantité d’autres détails sur l’application pratique de telles mesures.