More bricks

Nous vous parlions il y a peu du réemploi de briques pleines en terre cuite. Si l’idée première reste de récupérer les briques individuellement, de les débarasser des restes de mortier pour pouvoir, une nouvelle fois, les maçonner de façon traditionnelle, ce n’est toutefois pas toujours possible. Quand la qualité des matériaux mis en oeuvre ou la trop grande résistance des liants utilisés ne permettent pas le réemploi brique à brique, il convient dès lors d’imaginer d’autres façons de travailler et de développer des techniques innovantes de réemploi. Si le réemploi brique à brique reste la façon la plus courante d’intégrer ces éléments à de nouveaux projets, envisageons ici deux autres manières de faire.

Dès les annés 1970, apparaissent donc de nouveaux mortiers à base de ciment ou de colle, plus résistants et plus adhérents, ce qui complique la récupération et le nettoyage des briques. Pour remédier à cela, une entreprise danoise, le Lendager Group, imagine une alternative mise en application dans le projet d’immeuble de logements, Resource Rows (2020) à Copenhague (Danemark). La façade du bâtiment est en effet recouverte de modules préfabriqués constitués de panneaux de briques de différents types, origines, appareillage et couleurs, et découpés dans d’anciens murs destinés à la démolition. Ces morceaux de murs obtenus par découpe sont assemblés à la manière d’un patchwork puis utilisés en parement. Notons que la réflexion du Lendager Group à propos du réemploi ne s’arrête pas à la seule utilisation de briques, puisque du bois ainsi qu’une poutre en béton sont également réemployés dans ce projet. Le groupe continuera par ailleurs à s’intéresser au réemploi à travers d’autres projets et mettra en place l’exposition Wasteland, dont nous vous parlions ici.

Une troisième façon de réemployer des briques est d’en intégrer de façon aléatoire les débris, plus ou moins gros, aux murs et parois de nouvelles constructions, souvent constitués de modules préfabriqués en béton. Bien que la brique ne soit plus ni entière, ni maçonnée de façon traditionnelle, on continue néanmoins à la relier à son histoire. Pour faire référence au côté aléatoire de la mise en oeuvre, il est parfois question dans de pareils cas de opus incertum. Cependant, afin de donner une meilleure idée de la technique employée et même s’il est difficile de la nommer avec précision, nous préfèrerons parler de béton cyclopéen. Au-delà du fait qu’elle apporte une solution aux diffucultés liées à l’utilisation de ciments plus résistants, cette technique permet également de faire le réemploi d’autres types de briques, briques creuses par exemple, difficiles à réemployer à la pièce. Le béton cyclopéen intégrant des morceaux de briques issus de démolitions est présent dans de nombreux projets au Paraguay (dont nous vous parlions ici et ici) et parmi lesquels on peut citer plusieurs projets du Gabinete de arquitectura (Centro de Rehabilitación Infantil de la Teletón, Quincho Tia Coral, Fundación TEXO, banco BASA) ainsi que le projet Fuelle Roga (OMCM Escritorio de Arquitectura y Urbanismo) dont est issue la photo ci-dessus, la Casa Ana (Mínimo Común Arquitectura) et la Casa Ilona (Grupo Culata Jovái), mais aussi le Pabellón de Composta (Gabinete de arquitectura), construit au Mexique, ou la Casa Angatuba (messina | rivas), construite au Brésil. Au Brésil également, notons la Residência Rua Pombal (São Paulo Criação). Voir au sujet de ce dernier projet un article Archdaily. En Belgique, c’est l’Atelier d’Architecture Alain Richard qui expérimente la préfabrication de modules en béton avec agrégats de briques en terre cuite. Ceux-ci seront notamment utilisés pour former le mur d’enceinte d’un bâtiment de bureaux et d’ateliers.

Dans cette démarche entre réemploi et recyclage, des fragments de plus petite échelle sont utilisés historiquement dans ce qu’on appelle souvent l’opus signinum ou cocciopesto, mortier aux propriétés imperméables, posé en plusieurs couches, résultant d’un mélange d’eau, de chaux et de tuileau (tuiles ou briques de terre cuite broyées), ce qui pourrait se rapprocher de notre terrazzo moderne (voir sur ce sujet une publication de Véronique Vassal dans le Journal of Mosaic Research). Si les spécialistes ne s’accordent pas toujours sur les termes exacts à employer pour désigner de tels matériaux, constatons simplement que des applications modernes intégrant des débris de briques en terre cuite existent bel et bien (voir à ce sujet un article sur le site de Bobi réemploi). Ainsi, les français de l’Atelier NA ont mené des ateliers de création de béton à partir de gravats de réemploi. Les français de chez Ciguë mènent également des recherches dans ce sens, mais sur un béton de plâtre faisant l’impasse sur le ciment et intégrant des gravats de réemploi. Leur travail a donné lieu à une exposition au Pavillon de l’Arsenal cette année, ainsi qu’à une étude disponible ici. La designeuse et chercheuse Anna Saint Pierre expérimente également l’intégration de divers débris issus de démolitions, et notamment par la création de terrazzo (voir un article de la revue Metropolis à ce sujet). Les allemands de chez TFOB (They Feed Of Buildings) travaillent eux aussi dans cette direction à travers leur projet Urban Terrazzo et les anglais de chez Apt ont collaboré avec Huguet, une manufacture basée à Mallorque, afin d’intégrer des débris de briques à un terrazzo. On se souvient également des expérimentations d’Assemble et du Granby Workshop qui intégraient de tels débris à leurs objets moulés. S’il est encore une fois difficile de nommer avec précision les matériaux obtenus, granito, terrazzo, mortier ou béton, les matières utilisées, leur échelle ainsi que les techniques mises en œuvre étant souvent différentes, c’est n’est pas ce qui nous préoccupe ici. L’important reste d’imaginer de nouvelles solutions au problème des déchets de constructions et de la brique en particulier pour ce qui est de cet article.

Bricks

Adreiluak. Ladrillos. Briques. Bricks. La brique est sans conteste l’un des matériaux phare de la construction. Et même s’il reste minoritaire, le réemploi de briques pleines en terre cuite gagne en visibilité. Nous avions déjà abordé dans ce blog différents projets allant dans ce sens, mais il y en a bien d’autres. Voici donc un petit tour d’horizon non exaustif des acteurs du réemploi de briques pleines en terre cuite !

Pour commencer, et afin d’en faire le réemploi brique à brique, il convient, une fois un stock identifié, d’en nettoyer manuellement ou mécaniquement les restes de mortier. Nous vous avions déjà parlé du système mécanique automatisé mis au point par l’entreprise danoise Gamle Mursten puis développé au sein du projet européen REBRICK. Outre ce développement technique, le revendeur de briques de réemploi qui dispose déjà d’une déclaration environnementale pour ses produits, a lancé par ailleurs une procédure afin d’obtenir un marquage CE pour certains types de briques courantes sur le marché danois. Ce marquage ainsi que les caractéristiques bien établies des briques pourraient être un moyen de faciliter leur intégration aux projets contemporains.

Des briques fournies par l’entreprise Gamle Mursten seront par exemple intégrées aux murs d’une villa dessinées par Wienberg Architects. À plus grande échelle, ce sont aussi 400 000 briques provenant entre autres d’un ancien hôpital qui seront nettoyées par la même entreprise pour être intégrées à la Frederiksbjerg School, à Aarhus au Danemark (Henning Larsen Architects). Les architectes répéteront d’ailleurs le procédé dans différents projets résidentiels, notamment Jacobsen Hus et Havnebryggen à Copenhague. L’importance des fournisseurs est ici primordiale. Ainsi, à l’heure d’écrire ces lignes, le site Opalis recense en France, Belgique et aux Pays-Bas plus de 70 fournisseurs spécialisés dans la brique de réemploi et le site de Salvo affiche plus de 300 annonces au Royaume-Uni pour des lots de briques de réemploi principalement en terre cuite. Certains de ces fournisseurs proposent également des plaquettes de parement faites à partir de briques de réemploi sciées longitudinalement. Nous nous intéressons néanmoins ici uniquement au réemploi brique à brique.

Le site Opalis regroupe également une série de projets réalisés en Belgique à l’aide de briques réemployées, le plus souvent en parement. Parmi ceux-ci, outre divers projets de transformation et réhabilitation, citons la maison Vignette à Auderghem (Karbon’ architecture & urbanisme), ses 3000 briques réemployées et sa façade à claustra, la maison communale de Lo-Reninge (noAarchitecten) et ses 205 m² de briques de réemploi, ainsi qu’une maison-atelier à Mariakerke (Raamwerk et Van Gelder Tilleman architecten). Nous vous avions par ailleurs déjà parlé d’autres de ces projets comme le Chiro d’Itterbeek (Rotor), le Musée de Folklore de Mouscron (V+ et Simon Boudvin) ainsi que la maison dnA (BLAF architecten), où les briques sont cette fois réemployées dans les murs porteurs (et dont provient la photo ci-dessus). Nous pourrions y ajouter d’autres projets, qui sont à retrouver dans une publication de la Fédération Belge de la Brique, comme celui des logements Vandergoten à Laeken (R²D² Architecture) et ses plus de 2000 m² de briques réemployées in situ à la suite de la démolition d’un ancien entrepôt.

D’autres pays européens se distinguent également dans le réemploi de briques. Ainsi, au Royaume-Uni, signalons les projets londoniens de la Step House (Bureau de Change) et de la Love Walk House (Vine Architecture Studio), et leur réemploi de briques in situ pour construire les extensions de ces bâtiments anciens, mais aussi l’utilisation de briques de seconde main du projet The Parchment Works (Will Gamble Architects) à Gretton, ou encore de l’extension à Londres du Lexi Cinema (RISE Design Studio). En Allemagne (Ravensburg), le Kunstmuseum Ravensburg (Lederer Ragnarsdóttir Oei) fait un usage particulièrment intéressant de briques de réemploi provenant d’un ancien monastère, en façade mais également dans les voûtes qui forment le toit du musée (voir à ce sujet un article de la revue Arquitectura Viva). En Pologne (Poznań), ce sont les briques d’une vieille grange qui seront réemployées en façade d’une villa par Wrzeszcz Architekci (voir un article à ce sujet sur Archdaily).

S’il ne s’agit ici que de quelques exemples de projets européens dans des pays où les stocks de briques pleines en terre cuite sont relativement importants, nous vous parlions aussi (ici et ici) de nombreux exemples de réemploi de briques au Paraguay, autre pays pour lequel il s’agit d’un matériau traditionnel. Nous pourrions citer le projet Yvapovo (Laboratorio de Arquitectura), la Casa Esmeraldina ou le Centro de Rehabilitación Infantil de la Teletón (Gabinete de arquitectura), la Casa Ana (Mínimo Común Arquitectura), la Casa Ilona et la Vivienda Wf (Grupo Culata Jovái), le projet Cerro Corá 2373 (Grupo Culata Jovái et Arquitectava) ou la Casa/Taller Las Mercedes (Lukas Fúster). Et nous ajoutions à ces projets celui de la Capela Ingá-mirim (messina | rivas) construite au Brésil.


De plus amples informations concernant la brique de réemploi ont été publiées par Rotor dans le cadre du projet européen FCRBE et une fiche matériau lui est consacrée, qui est à télécharger ici. D’autres informations sont regroupées sur le site Opalis. Voir également une publication sur la fin de vie des briques publiée au Royaume-Uni par The Brick Development Association et disponible ici. Rappelons également la publication de la Fédération Belge de la Brique.

Baksteen

La construction en briques de réemploi semble gagner du terrain dans les pays qui ont la brique au coeur de leurs pratiques constructives. À l’heure actuelle, ce matériau y joue toutefois principalement un rôle de parement et les briques de réemploi ne font pas défaut à cette nouvelle règle. L’absence de fonction structurelle peut faciliter l’intégration de briques anciennes à un nouveau projet même si certaines présentent des qualités supérieures à celles de briques neuves. C’est ce qui a été mis en évidence par le bureau d’architecture BLAF architecten lors de tests réalisés pour la construction de maisons unifamilliales en Belgique. La Belgique, et la Flandre en particulier, est l’un de ces endroits où la baksteen (brique en néerlandais) est traditionnellement très présente. Il est donc naturel qu’on y retrouve aussi de nombreux revendeurs de briques de réemploi. Les architectes de BLAF, rôdés à la rénovation et habitués à travailler avec ce matériau particulier, notamment au travers du projet de recherche Brick Wall City, ont donc non seulement fait le choix de la brique de réemploi, mais aussi celui de conserver sa fonction structurelle originelle. Le mur de maçonnerie sera donc porteur!

Cette approche remarquable du réemploi de briques a été mise en pratique lors de la construction de la maison dnA, à Asse. L’idée était d’y combiner les nouveaux standards en matière d’isolation à la simplicité constructive des maisons traditionnelles et à l’adaptabilité que celles-ci peuvent offrir. On retrouve donc dans la maison dnA des murs porteurs en briques et une structure plus légère en bois fonctionnant indépendamment l’une de l’autre. Les murs en briques supportent la toiture et bien qu’ils assurent une certaine inertie thermique au bâtiment, c’est une structure secondaire en ossature bois qui forme les niveaux intérieurs et permet l’isolation. Ce système constructif hybride, cette boîte dans la boîte, traite chaque matériau séparément, par couches successives, en permettant ainsi d’allonger la durée de vie d’une construction qui pourrait être entièrement réhabilitée de l’intérieur sans que l’aspect extérieur ne change. Du point de vue structurel, les nombreux angles droits ainsi que des poutres de ceinture en béton renforcent la stabilité d’une enveloppe extérieure constituée de 50 m³ de briques de réemploi. Par ailleurs, au-delà de l’aspect esthétique et environnemental, ce choix s’est aussi révélé être économique.

Le projet de la maison gjG, à Gentbrugge, voit les architectes poursuivre leurs expérimentations sur les murs porteurs en briques de réemploi. Cette fois ce ne sont plus les angles droits qui renforcent la stabilité du mur en briques mais des courbes en dialogue avec l’environnement boisé de la maison. Autre variation sur un même thème, c’est la face intérieure du mur qui devient porteuse de la toiture, les briques extérieures étant utilisées en parement. Entre ces deux faces est placée l’isolation. Cette adaptation de l’habituel mur creux rempli d’isolant à la maçonnerie en briques est une nouvelle façon de lui rendre une place qu’elle avait perdue. Une structure bois et acier, indépendante de l’enveloppe en briques, permet ici aussi, la création des niveaux intérieurs.

Au-delà de ces projets, les architectes de BLAF contribuent par ailleurs à la conception de nouveaux modèles de briques adaptés à la construction de murs massifs, à l’opposé de produits plus légers simulant la brique maçonnée. Réemployer les briques que nous ont laissées nos prédecesseurs ne doit pas non plus nous faire oublier qu’il convient de préparer le terrain aux futurs réemployeurs. Cela passe par les matériaux, la brique en l’occurence, qui doivent être de qualité, durables et résistants, mais aussi par les systèmes constructifs qui permettent une éventuelle déconstruction tout en assurant le plus longtemps possible l’adaptabilité du bâtiment. Les architectes de BLAF agissent sur les deux tableaux, celui des matériaux, en réemployant et en travaillant à l’élaboration de nouveaux types de briques, et sur celui des systèmes constructifs, en privilégiant des modes constructifs par couches successives ou aux systèmes structurels dissociés.


Plus d’informations sur la maison dnA sont disponibles sur le site Opalis. La Fédération Belge de la Brique édite en français une revue trimestrielle dont le numéro de septembre 2021, Briques de réemploi, est consacré, entre autres, aux deux projets de BLAF architecten. Ces projets se retrouvent également sur le site Archdaily, ici et ici.

CHARM

Le projet européen (Interreg North-West Europe) CHARM (Circular Housing Asset Renovation & Management) a pour objectif principal l’optimisation du réemploi des matériaux de construction dans la gestion, la rénovation et la construction de logements sociaux. Le projet tend en effet à s’éloigner de la tendance actuelle qui consiste à améliorer le recyclage des déchets de construction et de démolition (DCD) mais aboutit bien souvent à une forme de sous-recyclage (downcycling). Ce qui est visé ici, c’est donc bien un réemploi optimal des matériaux de construction. Au-delà de la démonstration, le projet CHARM a également pour objectif de favoriser l’adoption de cette approche innovante par ses partenaires ainsi que par l’ensemble du secteur. Ce projet regroupe différents organismes de logement social autour de la TU Delft (Delft University of Technology) ainsi que d’autres acteurs du monde du logement ou de la recherche. Sont annoncées 40 000 tonnes de matériaux qui pourraient être sauvées annuellement du downcycling rien que par les différents organismes partenaires!

Le projet CHARM a des objectifs très proches de ceux d’autres projets européens, FCRBE ou BAMB, avec lesquels il collabore mais se concentre néanmoins sur l’économie circulaire dans le logement social. Des stratégies spécifiques permettant la circulation des matériaux de réemploi sont ainsi mises en place au sein de projets pilotes menés dans 4 pays par les différents organismes de logement social partenaires. L’émission de directives et la mise en place de plateformes d’échange doivent aider au développement de ces stratégies. Celles-ci peuvent s’appliquer à la rénovations ou à la nouvelle construction et concernent du réemploi in-situ ou ex-situ, ainsi que le design et la construction en vue du réemploi.

Ainsi, en Angleterre, ce sont des logements en bois qui seront construits par GreenSquareAccord avec l’objectif de favoriser leur montage, démontage et remontage mais aussi le réemploi de leurs composants. En France, Paris Habitat utilisera pour sa part l’expérience de projets pilotes antérieurs pour mener à bien plusieurs opérations de rénovation (en collaboration notamment avec la Ville de Paris et Backacia) dans le but d’y doubler le volume de réemloi et de développer une plateforme d’échange de matériaux. Afin de les sensibiliser à l’utilisation de matériaux de réemploi, le projet néerlandais de Woonbedrijf visera quant à lui l’implication des futurs locataires et du voisinage dans le processus de création de nouvelles constructions pensées également en vue d’une future déconstruction. En Belgique enfin, Zonnige Kempen (accompagné notamment par Rotor) se chargera entre autres d’une rénovation avec stockage et réemploi sur site ainsi que de la création d’une plateforme d’échange de matériaux et comparera le taux de récupération de matériaux issus de la déconstruction à celui d’un projet similaire mais mené par démolition.


Une description plus détaillée des différents projets pilotes peut être trouvée ici.

BRIC

Dans le cadre du Programme Régional en Économie Circulaire bruxellois (PREC/Be Circular) et soutenu par le projet européen BAMB (Building as Material Banks, dont nous vous parlions ici), le projet BRIC (Build Reversible In Conception) voit le jour à Bruxelles, sur le site de l’efp (centre de formation dans un système en alternance, notamment des professionnels du bâtiment). Le BRIC est un bâtiment durable, modulaire et évolutif, qui intègre parfaitement les principes de l’économie circulaire et de la réversibilité. Construit par et pour les apprenants de l’efp, il est un outil pédagogique et didactique qui permet d’expérimenter mais aussi de former et de sensibiliser les futurs professionnels du bâtiment aux pratiques circulaires. Et à ce titre, le réemploi des matériaux de construction est l’un des objectifs majeurs du projet. Il est à noter qu’au-delà du réemploi des matériaux et de l’intégration des principes de réversibilité, c’est aussi à travers l’approvisionnement local en matériaux durables, l’autonomie énergétique, la gestion de l’eau pluviale et la récupération des eaux grises que le BRIC garantit de hautes performances environnementales!

Concrètement, le projet est constitué de trois bâtiments successifs, BRIC 1, BRIC 2 et BRIC 3, construits principalement avec les matériaux issus du bâtiment précédent. Chaque pavillon a un aspect, une volumétrie et une affectation qui lui est propre. Le cycle de constructions, déconstructions et reconstructions s’est étalé sur 4 ans et le BRIC 3, un studio radio, a été innauguré en juin 2021. Si certains des matériaux du BRIC 1 étaient déjà des matériaux issus du réemploi (tôles métalliques, plancher, bardage et menuiseries), c’est surtout grâce à une conception réversible qu’une véritable stratégie de réemploi à pu être mise en place. À la suite de la première déconstruction, un inventaire a ainsi été effectué et les architectes du bureau Karbon’ (Karbon’ architecture et urbanisme) ont pu travailler à la conception du BRIC 2 en intégrant les matériaux démontés. Dans une même logique, les architectes réaliseront une extension du bâtiment pour le transformr en BRIC 3. Au total, ce sont des centaines d’étudiants issus de 11 filières qui ont pu se former par la pratique lors de la construction des différents pavillons.

Installée sur une plateforme montée sur pieux amovibles, l’ossature constructive du BRIC est constituée d’une série de colonnes ainsi que de caissons en bois pouvant s’imbriquer dans diverses configuations. Les assemblages sont mécaniques, et l’emplacement des vis est marqué pour faciliter le démontage. La tôle a successivement été utilisée en toiture et en bardage et les panneaux en bois qui initialement constituaient une partie du bardage ont été pour leur part réemployés sous forme de bardeaux puis d’écailles, par recoupages successifs. Si les enduits à base d’argile sont réutilisables relativement facilement, les apprenants ont pu constater en revanche que le bois massif convient davantage aux cycles successifs de réemploi que des panneaux OSB. Ils ont pu également constater que l’isolation par cellulose, rapide lors de sa mise en place, nécessite une aspiration plus complexe lors de la déconstruction ainsi que la perforation des caissons en plusieurs endroits. La fibre de bois en panneaux semble fournir une plus grande flexibilité.


Plusieurs publications et retours d’expérience sur les différentes étapes du projet BRIC sont à consulter sur la page web du projet BAMB. Une vidéo en français à voir sur le site Archi Urbain présente quant à elle la dernière version du projet, BRIC 3.

Par ailleurs, un autre projet, lui aussi bruxellois, fait également la part belle au réemploi et à la formation des futurs acteurs de la construction: dans le cadre d’un concours organisé par le CDR Construction, des étudiants en construction de Bruxelles ont participé au chantier pédagogique d’un bâtiment modulable, démontable et transportable, MØDÜLL (2015) puis MØDÜLL 2.0 (2017). Plus d’informations sur le Guide Bâtiment Durable.

Un nouveau musée

La construction du nouveau Musée de folklore de la ville de Mouscron (Belgique) par les architectes du bureau V+ a donné lieu à un réemploi bien particulier de briques anciennes. Dans le cadre d’un décret visant l’intégration d’œuvres d’art dans les bâtiments publics, l’artiste français Simon Boudvin a fait en effet la proposition suivante : « introduire des briques anciennes dans les murs du nouveau Musée, en documenter leurs sites d’origine ».

La construction du Musée intervient de manière un peu paradoxale au moment où plusieurs bâtiments témoins de l’histoire de la ville sont sur le point de disparaître. Ils deviendront néanmoins source de matériaux : « une usine, un entrepôt, des maisons ouvrières, un cinéma, un couvent, une maison bourgeoise, un café, une ferme ont approvisionné de leurs briques les façades du Musée ». Les briques se transforment ainsi en objets de musée tout en conservant leur usage. Si le Musée s’intègre à la trame de la ville, briques anciennes et nouvelles se mélangent quant à elles suivant l’appareil. La proportion de briques réemployées est de 25%. Elle est du fait du bureau d’études : le mélange avec des briques neuves limite en effet l’impact du réemploi sur les tests et calculs de stabilité. Seront réemployées dans le projet 28500 briques, ce qui correspond à environ 34 m³ (source Opalis).

Le Musée est divisé en différents volumes séparés par des joints de dilatation. Chacun de ces volumes, par sa taille, les briques de réemploi qu’hébergent ses murs ou les objets qu’il expose fait référence à une activité bien particulière et donc à un bâtiment bien particulier. De discrets numéros présents en façade déterminent la provenance des briques réemployées. Si la dimension culturelle de ce réemploi semble donc importante, celui-ci ne cherche pourtant pas à devenir militant ou ostentatoire. Une couche de badigeon blanc recouvre l’ensemble des murs et les briques de réemploi ne se distinguent que par certaines aspérités.

La collecte des briques et leur intégration aux murs du Musée s’accompagnent d’un travail de documentation qui a mené Simon Boudvin à la publication d’un livre. Celui-ci décrit l’ensemble de l’opération, le nouveau Musée ainsi que les bâtiments dont sont issues les briques. Les citations ainsi que le titre de l’article sont empruntés à ce livre : Simon Boudvin, UN NOUVEAU MUSÉE, Accattone et MER. Paper Kunsthalle, 2018.

Exhibitions – 1

Qu’il s’agisse d’expositions thématiques directement liées au sujet, ou d’expositions interrogeant les nouvelles manières de construire dans un contexte de crise sociale, environnementale et économique, le réemploi a été souvent mis à l’honneur ces dernières années.

L’une des plus connues en France a sans doute été dès 2014 l’exposition Matière Grise, commanditée par le Pavillon de l’Arsenal et dont les commissaires étaient les architectes d’Encore Heureux. L’exposition qui invitait à utiliser « plus de matière grise » et « moins de matières premières », présentait 75 projets de réemploi à travers le monde et soulignait le potentiel d’une telle pratique. Elle deviendra par la suite itinérante et sera présentée en de nombreux endroits en France et à l’international. Ce sera le cas notamment à Barcelone ainsi qu’au Colegio Oficial de Arquitectos de Madrid (COAM) en 2017 ou à Anglet en 2019.

À Bruxelles, c’est l’exposition Life under a cherry tree des Belges de Rotor qui présentait en 2019 à La Loge une série de matériaux issus de déconstructions ainsi qu’une réflexion sur leur réemploi. Cette exposition faisait suite à d’autres sur le même sujet en 2015 à Liège (Deconstruction), en 2016 à Bordeaux (Deconstruction) au sein de l’exposition constellation.s imaginée par arc en rêve centre d’architecture, en 2017 à Hasselt autour du réemploi de carreaux de céramique (Ceramic tiles), ainsi qu’à une réflexion en 2013 sur l’architecture durable à la Oslo Architecture Triennale (Behind the Green Door) ou à une autre en 2010 sur l’usure des matériaux (Usus/usures) protagoniste du pavillon belge à la Biennale de Venise.

Les Danois du Lendager Group présentaient quant à eux en 2017 au Danish Architecture Centre l’exposition Wasteland (voir un article à ce sujet sur le site Archdaily).

Le travail des Anglais d’Assemble faisait l’objet d’une exposition en 2017 au Architekturzentrum Wien (Az W) sous le titre How We Build. Celui des Suisses du Baubüro in situ était pour sa part présenté en 2018 au Musée Suisse d’Architecture à Bâle (S AM) au sein de l’exposition Transform et a fait très récemment partie d’une exposition à Graz à la Haus Der Architektur (HDA), Material Loops, qui regroupe des travaux théoriques et pratiques autour des matériaux de réemploi. Y sont par ailleurs exposés des projets allemands, autrichiens ou néerlandais, dont ceux de Superuse Studios.


L’exposition Matière Grise s’accompagnait d’un ouvrage, réédité il y a peu, toujours par le Pavillon de l’Arsenal et disponible ici

Circular economy actions

La législation et les actions politiques actuelles relatives à l’économie circulaire mettent avant tout l’accent sur le recyclage, au détriment bien souvent du réemploi. Les recommandations de réduction des déchets faisant mention du réemploi s’accompagnent rarement, on l’a vu, de mesures concrètes. Il existe néanmoins une série de cas pratiques de mise en application de ces législations ou de ces décisions politiques et qui concernent le réemploi des matériaux de construction. Ceux-ci mettent en avant l’importance du rôle des pouvoirs publics et peuvent aller du simple accompagnement jusqu’à l’obligation en passant par la recommandation, en suivant la logique d’action permettre, encourager et obliger.

La série de cas pratiques décrits en fin d’article correspondent à des exemples incitatifs – visant à encourager – ou contraignants – visant à obliger – dans des pays et des territoires où une action préalable a déjà été menée afin de rendre possible le réemploi des matériaux. L’absence d’une telle action préalable sur le territoire espagnol ou au sein de la Communauté Autonome du Pays basque ne permet sans doute pas à l’heure actuelle la plupart des actions incitatives ou contraignantes de la part des pouvoirs publics. Il conviendrait dans un premier temps (et ce blog s’y emploie) de rendre visible et de faciliter les pratiques de réemploi avant d’envisager d’autres types d’actions. Néanmoins, un tour d’horizon de ce qui se fait déjà à l’étranger permet de se rendre compte de ce vers quoi nous pourrions nous diriger.

Suit ici une liste non exhaustive de ces cas pratiques, à commencer par des exemples incitatifs, pouvant aller de l’utilisation des marchés publics au soutien aux entreprises, en passant par des primes aux projets ou des incitatifs fiscaux :

  • En Belgique, la région wallonne a initié une étude visant une priorisation des matériaux de réemploi dans les cahiers des charges, mais aussi une série de recommandations pour l’élaboration des marchés publics afin d’y favoriser le réemploi. Par ailleurs, la Région de Bruxelles-Capitale, dans le cadre de son Programme Régional en Économie Circulaire, fournit une feuille de route aux nombreuses mesures dont certaines ayant vocation à devenir progressivement contraignantes. Le fréquent fonctionnement par subsidiarité de la Région amène au soutien du secteur via des appels à projets (BeExemplary ou BeCircular), des primes ou avantages fiscaux comme un futur taux de 6% de TVA pour des éléments de réemploi. Par ailleurs, est prévu pour 2021, parmi toute une série d’autres mesures favorisant ou sensibilisant au réemploi, l’obligation d’inventaire des matériaux pré-déconstruction.
  • À Seattle (U.S.A.), l’obtention d’un permis de déconstruction de bâtiments résidentiels est soumis, entre autre, à un réemploi des matériaux de construction d’un pourcentage minimal de 20% (hors asphalte, briques et bétons) ainsi qu’à la présentation d’un rapport identifiant les quantités d’éléments réemployés et recyclés. Ce processus permet d’engager une déconstruction avant qu’un nouveau permis de construire ait été délivré.

Voici maintenant une série d’exemples contraignants, liés à une obligation d’inventaire pré-démolition (aussi appelé diagnostic ressource) et/ou de déconstruction sélective, à une obligation de diriger certains éléments issus de la déconstruction vers des filières de réemploi, ou à une obligation d’intégrer certains éléments de réemploi dans de nouveaux projets :

  • En France, l’article 51 de la récente Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, prévoit l’obligation lors de certains « travaux de démolition ou réhabilitation significative de bâtiments », d’un « diagnostic relatif à la gestion des produits, matériaux et déchets », « en vue, en priorité, de leur réemploi ou, à défaut, de leur valorisation ». L’article 59 de cette même loi modifie le Code de l’environnement (Article L 228-4) et oblige à veiller au réemploi des matériaux lors de commandes publiques dans le domaine de la construction.
  • À Portland (U.S.A.), imposition est faite d’une déconstruction permettant le réemploi des matériaux en lieu et place d’une simple démolition. Cette imposition concerne certains bâtiments dont des construction unifamiliales ayant une structure datant d’avant 1940 (voir ici).
  • Dans le Cook County (U.S.A.), lors de l’obtention d’un permis de démolition de bâtiments résidentiels, imposition est faite de diriger un minimum de 5% des matériaux vers des filières de réemploi (voir ici).

Ce texte se base en partie sur un rapport produit par Rotor dans le cadre du projet de recherche “le bâti bruxellois source de nouveaux matériaux” (BBSM) et qui propose des pistes d’action et des jalons pour développer le réemploi. S’y retrouvent plusieurs des exemples cités ici ainsi qu’une foule d’autres informations.

LibreBook / Dekkera

Les deux projets présentés ici sont des projets bruxellois d’aménagement intérieur réalisés par Rotor et faisant une large place au réemploi. Le premier concerne l’aménagement de la librairie LibreBook, présentant une sélection d’ouvrages dans la plupart des langues européennes et permettant également d’accueillir de petits événements ou expositions. Le second est la transformation d’une ancienne épicerie en un bar et magasin spécialisé en bières artisanales et locales, sous le nom de Dekkera.

Les liens entre le réemploi et la philosophie des deux projets sont ici importants, qu’il s’agisse du choix de matériaux racontant une histoire à l’image des livres de LibreBook ou l’importance de la qualité de produits artisanaux et locaux voulue par Dekkera. Ainsi, une fresque provenant d’anciens décors de l’Opéra de la Monnaie est utilisée comme papier peint et crée l’ambiance particulière d’une partie plus intimiste de la librairie. Le comptoir du bar-magasin est quant à lui habillé de matériaux de qualité et provenant de déconstructions locales, comme un ancien plancher en bois de bout ou d’anciens carreaux de céramique d’une station de métro bruxelloise.

Voici une liste de matériaux de réemploi et leurs quantités utilisés dans le projet de la librairie LibreBook (source Opalis), la plupart des matériaux (hormis le parquet) étant fournis et mis en œuvre par Rotor :

  • 80 m² de parquet en chêne ;
  • 15m de faux-plafond utilisés comme panneaux muraux ;
  • 120 m² de panneaux multiplex ;
  • 35 luminaires ;
  • 10 étagères en métal ;
  • une cuisine équipée ;
  • 50m² de toile peinte ;
  • 15m de rails pour spots ;

Voici une liste de matériaux et leur provenance, utilisés dans le projet du bar-magasin Dekkera :

  • ancien plancher en bois de bout de Mahogany utilisé en habillage du bar ;
  • carreaux de céramique provenant du métro bruxellois et utilisés en habillage du bar ;
  • faux-plafond « mille-feuille » provenant d’un immeuble de bureaux ;
  • dalles de basalte provenant de la façade d’un immeuble de bureau et utilisées en pavement de sol ;

Sanitary block with reused materials

En Belgique, les concepteurs de Rotor, très actifs dans le domaine du réemploi, ont notamment réalisé pour un mouvement de jeunesse local (le Chiro d’Itterbeek) le projet d’un bloc sanitaire attenant à une construction existante, une ancienne ferme en briques rouges. Situé à Dilbeek, en périphérie de Bruxelles, ce projet est réalisé lui aussi en briques rouges, afin de s’insérer dans l’existant. Modeste par sa taille, l’extension n’en est pas moins exemplaire. Elle est en effet constituée de moins d’un tiers de matériaux neufs ! Les matériaux de réemploi ou de surplus de chantier qui y sont utilisés concernent tant le gros œuvre que les finitions. La volonté de Rotor de montrer qu’un tel projet est possible tout en cherchant à identifier les différents freins au réemploi se traduit notamment par un précieux travail de documentation et de communication.

L’implication nécessaire de différents acteurs est à souligner. La commune de Dilbeek, tout d’abord, un commanditaire public, la Coopérative de Construction AUTREMENT, entreprise active dans l’éco-construction et le réemplo, chargée de la mise en œuvre, ainsi qu’une série de fournisseurs de matériaux d’horizons très divers : Rotor; Franck spécialisé dans la déconstruction, le nettoyage et la revente de briques; Bouwstocks magasin de matériaux de réemploi; Gebruiktebauwmaterialen plateforme de vente de matériaux d’un démolisseur; l’association à but non lucratif Croisade Pauvreté, travaillant avec des volontaires afin de fournir des matériaux de seconde main très bon marché; un chantier privé situé à proximité.

Voici ci-après une liste de ces matériaux de réemploi ou de surplus de chantier utilisés sur le projet (source Opalis) :

  • 2,7 m³ de briques de parement ;
  • 6,7 m³ de blocs de béton ;
  • Structure de toiture en bois ;
  • 20 m² de tuiles ;
  • 29 m² d’isolation de murs, 14 m² d’isolation de sol, 20 m² d’isolation de toiture ;
  • 3 linteaux, 4 portes ou fenêtres ;
  • 14 m² de carrelages en céramique ;
  • 8 éléments de sanitaires ;
  • 5 luminaires ;