TYIN tegnestue – 2

L’importance du contexte local, propre à chaque projet, se retrouve au coeur de la démarche de TYIN tegnestue Architects. Il s’agit d’un contexte géographique, social ou culturel mais les techniques et les matériaux, qu’ils soient ou non de réemploi, peuvent aussi façonner l’identité d’un bâtiment. Ceci est valable pour les projets menés en Asie et dont nous avons déjà parlé mais c’est aussi le cas lorsque l’agence construit chez elle. En Norvège donc, c’est notamment la tradition de la construction en bois qui est mise en avant par TYIN tegnestue à travers sa pratique du réemploi. Et c’est un type de construction bien particulier, la construction en rondins de bois empilés, que l’on retrouve en 2014 dans son projet d’aménagment d’un magasin au sein de l’aéroport de Trondheim. Une ancienne maison datant du XIXe siècle et vouée à la démolition a donc été démontée puis reconstruite partiellement en mettant de côté les pièces les plus abîmées. Certains rondins seront également découpés et utilisés en revêtement mural.

Dans un projet antérieur finalisé en 2011 sur la commune de Aure (Norvège toujours), c’est d’une autre typologie de bâtiment, le hangar à bateaux, dont s’emparent les architectes. Le remplacement par une nouvelle construction, aux fonctions plus récréatives, d’un hangar en bois particulièrment endommagé sera encore une fois l’occasion de faire usage du réemploi. Certains des matériaux de l’ancienne construction seront ainsi réemployés in situ. Des planches en bois seront notamment intégrées au parement intérieur et le parement extérieur sera en partie composé de tôles métalliques anciennement utilisées en toiture. De vieux rails métalliques servent quant à eux de support à un plan de travail. À ces matériaux réemployés in situ, s’ajoutent des fenêtres provenant d’une ferme voisine. Ce sont d’ailleurs les dimensions de ces fenêtres qui décideront de la trame structurelle à adopter pour la nouvelle construction. Les matériaux reemployés contribuent donc à la conception même du projet en le faisant évoluer. Preuve encore que le réemploi nous oblige à penser la logique de conception d’une toute autre manière.

TYIN tegnestue – 1

L’agence norvégienne d’architecture TYIN tegnestue Architects, qui a mis fin à ses activités il y a peu, était connue pour une approche bien particulière de l’architecture: de petits projets, auxquels participaient souvent de nombreux étudiants et qui impliquaient également les communautés locales, un goût pour l’artisanat et le réemploi. Si nous vous avions déjà parlé ici des projets participatifs menés avec des étudiants d’écoles d’architecture et qui mettaient en oeuvre des matériaux issus du réemploi, l’engagement de l’agence l’a aussi amenée à réaliser divers projets, en Asie notamment, pour et avec des communautés en situation de précarité. Le choix, propre au contexte de chaque projet, de techniques artisanales et de matériaux locaux permettait de répondre au manque de moyens tout en impliquant les habitants. Ils pouvaient dès lors se réapproprier un bâtiment dont l’aspect technique de sa construction comme la dynamique sociale que celle-ci avait engendrée devaient servir d’exemple. Dans cette logique, les matérieux issus du réemploi sont considérés comme une ressource locale et bon marché, au même titre que du bois ou de la terre par exemple, et contribuent tout autant à façonner le projet.

Ainsi, le projet Old Market Library mené en collaboration avec CASE Studio Architects et construit à Bangkok (Thaïlande) en 2009 engageait largement les habitants. Cette transformation d’une section d’un ancien marché en bibliothèque a été pour eux l’occasion de mettre en oeuvre leur savoir en faisant usage de matériaux peu chers et disponibles localement, dont de nombreux matériaux issus du réemploi. Des caisses en bois réemployées deviennent donc des étagères à livres et le revêtement intérieur est composé de pièces en bois glanées dans les environs. Les éléments structurels en bois, notamment d’une petite mezzanine, ont quant à eux été achetés dans un magasin de seconde main, afin d’obtenir un bois de meilleure qualité. Ce projet, mais il n’est pas le seul, montre par ailleurs que le réemploi ne se contente pas d’être une solution économique et responsable aux besoins des communautés mais qu’il peut aussi stimuler l’inventivité technique et esthétique!

BRIC

Dans le cadre du Programme Régional en Économie Circulaire bruxellois (PREC/Be Circular) et soutenu par le projet européen BAMB (Building as Material Banks, dont nous vous parlions ici), le projet BRIC (Build Reversible In Conception) voit le jour à Bruxelles, sur le site de l’efp (centre de formation dans un système en alternance, notamment des professionnels du bâtiment). Le BRIC est un bâtiment durable, modulaire et évolutif, qui intègre parfaitement les principes de l’économie circulaire et de la réversibilité. Construit par et pour les apprenants de l’efp, il est un outil pédagogique et didactique qui permet d’expérimenter mais aussi de former et de sensibiliser les futurs professionnels du bâtiment aux pratiques circulaires. Et à ce titre, le réemploi des matériaux de construction est l’un des objectifs majeurs du projet. Il est à noter qu’au-delà du réemploi des matériaux et de l’intégration des principes de réversibilité, c’est aussi à travers l’approvisionnement local en matériaux durables, l’autonomie énergétique, la gestion de l’eau pluviale et la récupération des eaux grises que le BRIC garantit de hautes performances environnementales!

Concrètement, le projet est constitué de trois bâtiments successifs, BRIC 1, BRIC 2 et BRIC 3, construits principalement avec les matériaux issus du bâtiment précédent. Chaque pavillon a un aspect, une volumétrie et une affectation qui lui est propre. Le cycle de constructions, déconstructions et reconstructions s’est étalé sur 4 ans et le BRIC 3, un studio radio, a été innauguré en juin 2021. Si certains des matériaux du BRIC 1 étaient déjà des matériaux issus du réemploi (tôles métalliques, plancher, bardage et menuiseries), c’est surtout grâce à une conception réversible qu’une véritable stratégie de réemploi à pu être mise en place. À la suite de la première déconstruction, un inventaire a ainsi été effectué et les architectes du bureau Karbon’ (Karbon’ architecture et urbanisme) ont pu travailler à la conception du BRIC 2 en intégrant les matériaux démontés. Dans une même logique, les architectes réaliseront une extension du bâtiment pour le transformr en BRIC 3. Au total, ce sont des centaines d’étudiants issus de 11 filières qui ont pu se former par la pratique lors de la construction des différents pavillons.

Installée sur une plateforme montée sur pieux amovibles, l’ossature constructive du BRIC est constituée d’une série de colonnes ainsi que de caissons en bois pouvant s’imbriquer dans diverses configuations. Les assemblages sont mécaniques, et l’emplacement des vis est marqué pour faciliter le démontage. La tôle a successivement été utilisée en toiture et en bardage et les panneaux en bois qui initialement constituaient une partie du bardage ont été pour leur part réemployés sous forme de bardeaux puis d’écailles, par recoupages successifs. Si les enduits à base d’argile sont réutilisables relativement facilement, les apprenants ont pu constater en revanche que le bois massif convient davantage aux cycles successifs de réemploi que des panneaux OSB. Ils ont pu également constater que l’isolation par cellulose, rapide lors de sa mise en place, nécessite une aspiration plus complexe lors de la déconstruction ainsi que la perforation des caissons en plusieurs endroits. La fibre de bois en panneaux semble fournir une plus grande flexibilité.


Plusieurs publications et retours d’expérience sur les différentes étapes du projet BRIC sont à consulter sur la page web du projet BAMB. Une vidéo en français à voir sur le site Archi Urbain présente quant à elle la dernière version du projet, BRIC 3.

Par ailleurs, un autre projet, lui aussi bruxellois, fait également la part belle au réemploi et à la formation des futurs acteurs de la construction: dans le cadre d’un concours organisé par le CDR Construction, des étudiants en construction de Bruxelles ont participé au chantier pédagogique d’un bâtiment modulable, démontable et transportable, MØDÜLL (2015) puis MØDÜLL 2.0 (2017). Plus d’informations sur le Guide Bâtiment Durable.

Collectif Etc – 2

Habitué au travail du bois, le Collectif Etc participe en 2016 au chantier de remontage d’une ancienne étable à colombages du XIXe siècle. Celui-ci a lieu sur le site de l’Écomusée d’Alsace, musée en plein air dédié aux traditions et à la vie actuelle. Ce réemploi, servi par les techniques traditionnelles de la construction en bois, fat suite à un travail préalable de déconstruction et de numérotage de la part des équipes du musée. La vision d’une tradition remise au goût du jour défendue par l’Écomusée se traduit, lors de la reconstruction, par la réinterprétation des techniques anciennes et l’utilisation de vis ou d’un mur en béton. D’anciennes tuiles artisanales seront également réemployées. Tout ceci nous rappelle l’importance de certaines techniques parfois oubliées et les leçons qu’il y aurait à en tirer alors que nous redécouvrons la déconstruction et le réemploi.

Toujours sur le site de l’Écomusée, le Collectif Etc mène en parallèle un travail de recomposition d’une autre structure à colombages. Cette fois-ci, des pièces sont manquantes et le plan n’existe plus : un véritable puzzle pour constructeur en kit avec comme seule piste la petite plaque métallique numérotée que portent certaines pièces en bois. Les inévitables difficultés rencontrées illustrent bien l’importance de la déconstruction et de la numérotation qui, si elles sont correctement effectuées, peuvent permettre un réemploi rapide de structures parfois très anciennes !