“Building Materials and the Climate”

Le rapport “Building Materials and the Climate: Constructing a New Future”, élaboré en 2023 par le United Nations Environment Programme et le Yale Center for Ecosystems + Architecture, dans le cadre de l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction (GlobalABC), nous rappelle une fois de plus que le secteur de la construction est responsable de 37% des émissions de gaz à effet de serre et qu’il y a urgence à accélérer sa décarbonation (nous vous en parlions déjà ici et ici). Cela passe non seulement par une diminution de l’énergie et du carbone opérationnels mais aussi par celle de l’énergie et du carbone gris. Seule une approche sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment, via notamment des outils d’ACV semble donc pouvoir entraîner une réelle décarbonation du secteur. Il s’agit également d’éviter l’extraction de nouvelles matières premières et de diminuer la production de déchets en faisant avec moins dans une logique d’économie circulaire.

Le but premier reste d’étendre la durée de vie des bâtiments et de leurs composants en privilégiant la rénovation (réduction des émissions de GES de 50 à 75%) et des stratégies de “design for disassembly” pour les constructions neuves (réductions des émissions de GES de 10 à 50%), tout en favorisant la déconstruction sélective et le réemploi des matériaux. À ce sujet, le rapport insiste sur la nécessaire structuration d’un secteur potentiellement créateur d’emplois et sur le besoin d’un appui, tant financier que législatif:

“A new supply-and-demand model is needed, with new enterprises that allow for the careful dismantling of buildings and for the storing, preparation and maintenance of second-cycle materials for resale that will enable circular economies while providing job opportunities.”

p. xi

“Efforts by individual stakeholders to improve decarbonisation outcomes will not succeed unless they are supported by policy and finance across the different phases of the building process.”

p. xi

Toujours selon le rapport, réduire l’extraction de nouvelles matières premières, notamment grâce au réemploi, présente comme autre avantage de réduire les maladies liées à certains types de métiers:

“Reducing raw material extraction and harvesting through recycling and re-use may also mitigate social ills such as forced labour upstream in the supply chain.”

p. xiv

Le rapport cite différentes études de cas où une déconstruction sélective, combinée au réemploi et au recyclage, a permis une réduction des émissions de GES allant de 59% à 70% (p. 20)! Néanmoins, le texte reste relativement ambigu sur la différence à faire entre réemploi et recyclage, les mettant trop souvent sur un pied d’égalité ou en ne faisant pas de nette distinction entre les deux. Il reconnaît tout de même (comme nous vous l’expliquions dans un article précédent) que le recyclage conduit régulièrement à la création d’un produit de valeur inférieur:

“In a circular economy paradigm of “re-use, repair, recycle,” where waste is eliminated, the practice of recycling or downcycling becomes a last resort, as it typically results in a product of lesser value.”

p. 24

Par ailleurs, le rapport émet une série de recommandations visant à adapter normes et standards, favorisant l’utilisation de l’ACV dès l’étape de la conception ainsi qu’une approche circulaire, notamment via le réemploi et la création ou la structuration d’un secteur dédié:

“Adopt renovation policies that encourage the diversion of end-of-life material for recovery and recycling, promote regulation and measuring of whole building life-cycle carbon emissions, incorporate design for disassembly, and provide quality long-lasting material assemblies in retrofit solutions.”

p. 83

“Incentivise a marketplace for material re-use and develop standards to ensure the quality and efficacy for their use, in order to provide assurance to actors in the building sector.”

p. 83

Si ce rapport ne nous apprend finalement pas grand chose de neuf, il a l’avantage d’être une bonne piqûre de rappel, en diffusant à échelle mondiale l’idée que le secteur de la construction a un besoin urgent de changement et que le réemploi des matériaux est une des clés pour y arriver!


Les données chiffrées ainsi que l’ensemble des citations en anglais proviennent toutes du rapport – United Nations Environment Programme (2023). Building Materials and the Climate: Constructing a New Future. Nairobi.

Exhibitions – 3

Il est une exposition qui témoigne de l’intérêt pour le réemploi dont fait preuve à la fois le Pavillon de l’Arsenal à Paris mais aussi une partie toujours croissante des acteurs parisiens du secteur de la construction. L’exposition Conserver Adapter Transmettre, qui s’est achevée au mois de mars de cette année, présentait en effet une quarantaine de projets parisiens ayant fait le choix de ne pas démolir l’existant, en partant notamment du constat que chaque mètre carré neuf construit émet environ 1,5 tonnes de CO2 pendant 50 ans. Il s’agissait de projets récents, en cours de réalisation, dont les permis ont été déposés entre 2020 et 2022. Des projets de transformation de l’existant donc (qui représentent 70% des autorisations d’urbanisme déposées à Paris) où le réemploi des matériaux a aussi son importance, et qui mettent en avant de “nouveaux modes de fabrication qui conjuguent enjeux climatiques, volontés patrimoniales et programmations adaptées aux attentes contemporaines”. Ces projets sont une véritable inspiration pour qui voudrait développer en parallèle la filière du réemploi et celle des matières bio et géosourcées.

C’est le cas du projet Au Fil du Rail (19e) des architectes de Grand Huit, la reconversion d’un ancien bâtiment industriel en lieu ressource de l’économie circulaire et solidaire dans les champs de l’alimentation et du textile, initialement prévu pour 2023. Devrait y être pratiqué un réemploi des matériaux in situ et ex situ. Des menuiseries de l’ancienne préfecture Morland y seraient, par exemple, intégrées à l’enveloppe du bâtiment. C’est le cas également du super-équipement Pinard (14e) de l’agence ChartierDalix, aidée de R-Use pour le réemploi. Prévue pour 2025, il s’agit de la transfromation d’une ancienne maternité en équipement hybride rassemblant crèche, école, gymnase et tiers-lieu ouvert aux habitants. 49,6% de la masse de matériaux y est annoncée comme provenant de matériaux réemployés ou recyclés, dont 100% des tuiles en terre, des briques, de l’huisserie bois et de la menuiserie existante, ce qui réduirait de 11,6% les émissions carbone du projet. Démarche de réemploi également pour le projet de surélévation Lenoir (11e), la réhabilitation d’un bâtiment d’activités artisanales afin d’y ajouter des niveaux de logements sociaux, prévue pour 2024. Pour cette surélévation, les architectes de chez Boman, aidés de Bellastock pour le réemploi, auraient recours à des matériaux issus de la déconstruction d’immeubles appartenant à Paris Habitat, dont du parquet, du carrelage, des portes ou encore des équipements électriques. Ce sont des éléments intérieurs issus du réemploi qui seraient également mis à profit par l’agence Archikubik, aidée de Mobius, dans le projet de la Scène des Loges (15e), un ancien garage reconverti en logements, prévu pour 2024. Qu’autant de projets veuillent faire appel au réemploi sur un territoire aussi restreint est bien la preuve que quelque chose est en train de changer. La visibilité offerte par de telles expositions interrogeant nos modes de construction est également significatif de l’émergence de nouvelles pratiques constructives. Et parmi celles-ci, le réemploi des matériaux de construction semble avoir toute sa place.

Au-delà de cette exposition, l’intérêt du Pavillon de l’Arsenal pour le réemploi ne date en effet pas d’hier. On se souvient bien sûr de l’exposition Matière Grise (2014 à 2015), dont nous vous parlions déjà ici et qui reste une référence et l’exposition la plus complète sur le sujet, mais elle est loin d’être la seule. En 2012 déjà, l’exposition Re.architecture, se faisait l’écho de telles pratiques en présentant le travail singulier de 15 agences européenes dont faisaient partie Assemble, le Collectif Etc, Raumlabor ou encore Rotor. En 2016, l’exposition des résultats de l’appel à projets urbains innovants Réinventer Paris donnait également à voir des projets pour lesquels le réemploi était une donnée essentielle. Parmi ceux-ci, celui du site Morland ainsi que la future Ferme du Rail, dont nous vous avons déjà parlé. D’autres projets développés dans le cadre de l’accélérateur de projets architecturaux et urbains innovants FAIRE seront exposés au Pavillon de l’Arsenal. C’est le cas en 2022 de la recherche menée par Cigüe sur le béton de plâtre à base de réemploi, dont nous vous avons déjà parlé ou de FabBRICK en 2018, un projet de briques en textile de réemploi, conçu par l’architecte Clarisse Merlet. C’est le cas également des projets M.E.G.A. de Niveau Zéro Atelier et Terres émaillées de Lucie Ponard, qui utilisent tous deux des terres d’excavation parisiennes pour la production d’objets ou de carreaux. Ces projets, ainsi que FabBRICK, feront partie de l’eposition Séries Limitées de 2022. Dans le même esprit, l’exposition Terres de Paris (2016 à 2017), présente le travail des architectes de l’agence d’architecture Joly&Loiret sur la construction en terre crue issue du sous-sol parisien. Dans le cadre de l’accélérateur FAIRE et du Studiolo, un programme de mini-expositions, l’installation datant de 2021 Académie du climat x 36 étudiants architectes x Encore Heureux: un café en projet raconte la conception collaborative sous la direction d’Encore Heureux du futur café de l’Académie du climat à Paris, où le réemploi des matériaux a été une donnée importante. Également présenté dans le cadre du Studiolo en 2021 et de l’accélérateur FAIRE, le projet Ceci n’est pas une porte voit la récupération et la transformation de 1200 portes issues d’un ancien hôpital parisien, soit 60 m³ de matière. Les expérimentations et la création de mobilier par les architectes Vincent Parreira et Marie Brodin, accompagnés par Mobius, spécialisé dans le conseil en réemploi, déboucheront à cette occasion sur la fabrication de plus de 200 tables, avec l’aide de personnes en réinsertion professionnelle de l’association ARES (Association pour la Réinsertion Économique et Sociale).

De façon plus générale, l’attrait des équipes du Pavillon de l’Arsenal pour les matériaux naturels et locaux comme la terre ou la pierre (voir l’exposition Pierre de 2018) et les artisans qui les mettent en oeuvre (voir l’exposition Ressources de 2022), combiné aux préoccupations sociétales ou environnementales (en témoigne l’exposition Et demain, on fait quoi? présentée au moment de la crise Covid en 2020 ou les récentes expositions de 2023 Espaces Ferroviaires, matières vivantes ou [Ré]inventer l’existant) traduisent le besoin d’une nouvelle façon de concevoir l’architecture, à laquelle appartient le réemploi. Et s’il n’est bien sûr pas exclusivement question de réemploi dans ces différentes exposition, elles donnent néanmoins très souvent à voir les raisons ou les moyens qui peuvent faciliter son émergence ou, peut-être un jour, sa généralisation!


L’exposition Conserver Adapter Transmettre s’est achevée le 5 mars 2023 et a donné lieu à la publication d’un ouvrage portant le même titre, Conserver Adapter Transmettre.

More bricks

Nous vous parlions il y a peu du réemploi de briques pleines en terre cuite. Si l’idée première reste de récupérer les briques individuellement, de les débarasser des restes de mortier pour pouvoir, une nouvelle fois, les maçonner de façon traditionnelle, ce n’est toutefois pas toujours possible. Quand la qualité des matériaux mis en oeuvre ou la trop grande résistance des liants utilisés ne permettent pas le réemploi brique à brique, il convient dès lors d’imaginer d’autres façons de travailler et de développer des techniques innovantes de réemploi. Si le réemploi brique à brique reste la façon la plus courante d’intégrer ces éléments à de nouveaux projets, envisageons ici deux autres manières de faire.

Dès les annés 1970, apparaissent donc de nouveaux mortiers à base de ciment ou de colle, plus résistants et plus adhérents, ce qui complique la récupération et le nettoyage des briques. Pour remédier à cela, une entreprise danoise, le Lendager Group, imagine une alternative mise en application dans le projet d’immeuble de logements, Resource Rows (2020) à Copenhague (Danemark). La façade du bâtiment est en effet recouverte de modules préfabriqués constitués de panneaux de briques de différents types, origines, appareillage et couleurs, et découpés dans d’anciens murs destinés à la démolition. Ces morceaux de murs obtenus par découpe sont assemblés à la manière d’un patchwork puis utilisés en parement. Notons que la réflexion du Lendager Group à propos du réemploi ne s’arrête pas à la seule utilisation de briques, puisque du bois ainsi qu’une poutre en béton sont également réemployés dans ce projet. Le groupe continuera par ailleurs à s’intéresser au réemploi à travers d’autres projets et mettra en place l’exposition Wasteland, dont nous vous parlions ici.

Une troisième façon de réemployer des briques est d’en intégrer de façon aléatoire les débris, plus ou moins gros, aux murs et parois de nouvelles constructions, souvent constitués de modules préfabriqués en béton. Bien que la brique ne soit plus ni entière, ni maçonnée de façon traditionnelle, on continue néanmoins à la relier à son histoire. Pour faire référence au côté aléatoire de la mise en oeuvre, il est parfois question dans de pareils cas de opus incertum. Cependant, afin de donner une meilleure idée de la technique employée et même s’il est difficile de la nommer avec précision, nous préfèrerons parler de béton cyclopéen. Au-delà du fait qu’elle apporte une solution aux diffucultés liées à l’utilisation de ciments plus résistants, cette technique permet également de faire le réemploi d’autres types de briques, briques creuses par exemple, difficiles à réemployer à la pièce. Le béton cyclopéen intégrant des morceaux de briques issus de démolitions est présent dans de nombreux projets au Paraguay (dont nous vous parlions ici et ici) et parmi lesquels on peut citer plusieurs projets du Gabinete de arquitectura (Centro de Rehabilitación Infantil de la Teletón, Quincho Tia Coral, Fundación TEXO, banco BASA) ainsi que le projet Fuelle Roga (OMCM Escritorio de Arquitectura y Urbanismo) dont est issue la photo ci-dessus, la Casa Ana (Mínimo Común Arquitectura) et la Casa Ilona (Grupo Culata Jovái), mais aussi le Pabellón de Composta (Gabinete de arquitectura), construit au Mexique, ou la Casa Angatuba (messina | rivas), construite au Brésil. Au Brésil également, notons la Residência Rua Pombal (São Paulo Criação). Voir au sujet de ce dernier projet un article Archdaily. En Belgique, c’est l’Atelier d’Architecture Alain Richard qui expérimente la préfabrication de modules en béton avec agrégats de briques en terre cuite. Ceux-ci seront notamment utilisés pour former le mur d’enceinte d’un bâtiment de bureaux et d’ateliers.

Dans cette démarche entre réemploi et recyclage, des fragments de plus petite échelle sont utilisés historiquement dans ce qu’on appelle souvent l’opus signinum ou cocciopesto, mortier aux propriétés imperméables, posé en plusieurs couches, résultant d’un mélange d’eau, de chaux et de tuileau (tuiles ou briques de terre cuite broyées), ce qui pourrait se rapprocher de notre terrazzo moderne (voir sur ce sujet une publication de Véronique Vassal dans le Journal of Mosaic Research). Si les spécialistes ne s’accordent pas toujours sur les termes exacts à employer pour désigner de tels matériaux, constatons simplement que des applications modernes intégrant des débris de briques en terre cuite existent bel et bien (voir à ce sujet un article sur le site de Bobi réemploi). Ainsi, les français de l’Atelier NA ont mené des ateliers de création de béton à partir de gravats de réemploi. Les français de chez Ciguë mènent également des recherches dans ce sens, mais sur un béton de plâtre faisant l’impasse sur le ciment et intégrant des gravats de réemploi. Leur travail a donné lieu à une exposition au Pavillon de l’Arsenal cette année, ainsi qu’à une étude disponible ici. La designeuse et chercheuse Anna Saint Pierre expérimente également l’intégration de divers débris issus de démolitions, et notamment par la création de terrazzo (voir un article de la revue Metropolis à ce sujet). Les allemands de chez TFOB (They Feed Of Buildings) travaillent eux aussi dans cette direction à travers leur projet Urban Terrazzo et les anglais de chez Apt ont collaboré avec Huguet, une manufacture basée à Mallorque, afin d’intégrer des débris de briques à un terrazzo. On se souvient également des expérimentations d’Assemble et du Granby Workshop qui intégraient de tels débris à leurs objets moulés. S’il est encore une fois difficile de nommer avec précision les matériaux obtenus, granito, terrazzo, mortier ou béton, les matières utilisées, leur échelle ainsi que les techniques mises en œuvre étant souvent différentes, c’est n’est pas ce qui nous préoccupe ici. L’important reste d’imaginer de nouvelles solutions au problème des déchets de constructions et de la brique en particulier pour ce qui est de cet article.

Bricks

Adreiluak. Ladrillos. Briques. Bricks. La brique est sans conteste l’un des matériaux phare de la construction. Et même s’il reste minoritaire, le réemploi de briques pleines en terre cuite gagne en visibilité. Nous avions déjà abordé dans ce blog différents projets allant dans ce sens, mais il y en a bien d’autres. Voici donc un petit tour d’horizon non exaustif des acteurs du réemploi de briques pleines en terre cuite !

Pour commencer, et afin d’en faire le réemploi brique à brique, il convient, une fois un stock identifié, d’en nettoyer manuellement ou mécaniquement les restes de mortier. Nous vous avions déjà parlé du système mécanique automatisé mis au point par l’entreprise danoise Gamle Mursten puis développé au sein du projet européen REBRICK. Outre ce développement technique, le revendeur de briques de réemploi qui dispose déjà d’une déclaration environnementale pour ses produits, a lancé par ailleurs une procédure afin d’obtenir un marquage CE pour certains types de briques courantes sur le marché danois. Ce marquage ainsi que les caractéristiques bien établies des briques pourraient être un moyen de faciliter leur intégration aux projets contemporains.

Des briques fournies par l’entreprise Gamle Mursten seront par exemple intégrées aux murs d’une villa dessinées par Wienberg Architects. À plus grande échelle, ce sont aussi 400 000 briques provenant entre autres d’un ancien hôpital qui seront nettoyées par la même entreprise pour être intégrées à la Frederiksbjerg School, à Aarhus au Danemark (Henning Larsen Architects). Les architectes répéteront d’ailleurs le procédé dans différents projets résidentiels, notamment Jacobsen Hus et Havnebryggen à Copenhague. L’importance des fournisseurs est ici primordiale. Ainsi, à l’heure d’écrire ces lignes, le site Opalis recense en France, Belgique et aux Pays-Bas plus de 70 fournisseurs spécialisés dans la brique de réemploi et le site de Salvo affiche plus de 300 annonces au Royaume-Uni pour des lots de briques de réemploi principalement en terre cuite. Certains de ces fournisseurs proposent également des plaquettes de parement faites à partir de briques de réemploi sciées longitudinalement. Nous nous intéressons néanmoins ici uniquement au réemploi brique à brique.

Le site Opalis regroupe également une série de projets réalisés en Belgique à l’aide de briques réemployées, le plus souvent en parement. Parmi ceux-ci, outre divers projets de transformation et réhabilitation, citons la maison Vignette à Auderghem (Karbon’ architecture & urbanisme), ses 3000 briques réemployées et sa façade à claustra, la maison communale de Lo-Reninge (noAarchitecten) et ses 205 m² de briques de réemploi, ainsi qu’une maison-atelier à Mariakerke (Raamwerk et Van Gelder Tilleman architecten). Nous vous avions par ailleurs déjà parlé d’autres de ces projets comme le Chiro d’Itterbeek (Rotor), le Musée de Folklore de Mouscron (V+ et Simon Boudvin) ainsi que la maison dnA (BLAF architecten), où les briques sont cette fois réemployées dans les murs porteurs (et dont provient la photo ci-dessus). Nous pourrions y ajouter d’autres projets, qui sont à retrouver dans une publication de la Fédération Belge de la Brique, comme celui des logements Vandergoten à Laeken (R²D² Architecture) et ses plus de 2000 m² de briques réemployées in situ à la suite de la démolition d’un ancien entrepôt.

D’autres pays européens se distinguent également dans le réemploi de briques. Ainsi, au Royaume-Uni, signalons les projets londoniens de la Step House (Bureau de Change) et de la Love Walk House (Vine Architecture Studio), et leur réemploi de briques in situ pour construire les extensions de ces bâtiments anciens, mais aussi l’utilisation de briques de seconde main du projet The Parchment Works (Will Gamble Architects) à Gretton, ou encore de l’extension à Londres du Lexi Cinema (RISE Design Studio). En Allemagne (Ravensburg), le Kunstmuseum Ravensburg (Lederer Ragnarsdóttir Oei) fait un usage particulièrment intéressant de briques de réemploi provenant d’un ancien monastère, en façade mais également dans les voûtes qui forment le toit du musée (voir à ce sujet un article de la revue Arquitectura Viva). En Pologne (Poznań), ce sont les briques d’une vieille grange qui seront réemployées en façade d’une villa par Wrzeszcz Architekci (voir un article à ce sujet sur Archdaily).

S’il ne s’agit ici que de quelques exemples de projets européens dans des pays où les stocks de briques pleines en terre cuite sont relativement importants, nous vous parlions aussi (ici et ici) de nombreux exemples de réemploi de briques au Paraguay, autre pays pour lequel il s’agit d’un matériau traditionnel. Nous pourrions citer le projet Yvapovo (Laboratorio de Arquitectura), la Casa Esmeraldina ou le Centro de Rehabilitación Infantil de la Teletón (Gabinete de arquitectura), la Casa Ana (Mínimo Común Arquitectura), la Casa Ilona et la Vivienda Wf (Grupo Culata Jovái), le projet Cerro Corá 2373 (Grupo Culata Jovái et Arquitectava) ou la Casa/Taller Las Mercedes (Lukas Fúster). Et nous ajoutions à ces projets celui de la Capela Ingá-mirim (messina | rivas) construite au Brésil.


De plus amples informations concernant la brique de réemploi ont été publiées par Rotor dans le cadre du projet européen FCRBE et une fiche matériau lui est consacrée, qui est à télécharger ici. D’autres informations sont regroupées sur le site Opalis. Voir également une publication sur la fin de vie des briques publiée au Royaume-Uni par The Brick Development Association et disponible ici. Rappelons également la publication de la Fédération Belge de la Brique.

Baksteen

La construction en briques de réemploi semble gagner du terrain dans les pays qui ont la brique au coeur de leurs pratiques constructives. À l’heure actuelle, ce matériau y joue toutefois principalement un rôle de parement et les briques de réemploi ne font pas défaut à cette nouvelle règle. L’absence de fonction structurelle peut faciliter l’intégration de briques anciennes à un nouveau projet même si certaines présentent des qualités supérieures à celles de briques neuves. C’est ce qui a été mis en évidence par le bureau d’architecture BLAF architecten lors de tests réalisés pour la construction de maisons unifamilliales en Belgique. La Belgique, et la Flandre en particulier, est l’un de ces endroits où la baksteen (brique en néerlandais) est traditionnellement très présente. Il est donc naturel qu’on y retrouve aussi de nombreux revendeurs de briques de réemploi. Les architectes de BLAF, rôdés à la rénovation et habitués à travailler avec ce matériau particulier, notamment au travers du projet de recherche Brick Wall City, ont donc non seulement fait le choix de la brique de réemploi, mais aussi celui de conserver sa fonction structurelle originelle. Le mur de maçonnerie sera donc porteur!

Cette approche remarquable du réemploi de briques a été mise en pratique lors de la construction de la maison dnA, à Asse. L’idée était d’y combiner les nouveaux standards en matière d’isolation à la simplicité constructive des maisons traditionnelles et à l’adaptabilité que celles-ci peuvent offrir. On retrouve donc dans la maison dnA des murs porteurs en briques et une structure plus légère en bois fonctionnant indépendamment l’une de l’autre. Les murs en briques supportent la toiture et bien qu’ils assurent une certaine inertie thermique au bâtiment, c’est une structure secondaire en ossature bois qui forme les niveaux intérieurs et permet l’isolation. Ce système constructif hybride, cette boîte dans la boîte, traite chaque matériau séparément, par couches successives, en permettant ainsi d’allonger la durée de vie d’une construction qui pourrait être entièrement réhabilitée de l’intérieur sans que l’aspect extérieur ne change. Du point de vue structurel, les nombreux angles droits ainsi que des poutres de ceinture en béton renforcent la stabilité d’une enveloppe extérieure constituée de 50 m³ de briques de réemploi. Par ailleurs, au-delà de l’aspect esthétique et environnemental, ce choix s’est aussi révélé être économique.

Le projet de la maison gjG, à Gentbrugge, voit les architectes poursuivre leurs expérimentations sur les murs porteurs en briques de réemploi. Cette fois ce ne sont plus les angles droits qui renforcent la stabilité du mur en briques mais des courbes en dialogue avec l’environnement boisé de la maison. Autre variation sur un même thème, c’est la face intérieure du mur qui devient porteuse de la toiture, les briques extérieures étant utilisées en parement. Entre ces deux faces est placée l’isolation. Cette adaptation de l’habituel mur creux rempli d’isolant à la maçonnerie en briques est une nouvelle façon de lui rendre une place qu’elle avait perdue. Une structure bois et acier, indépendante de l’enveloppe en briques, permet ici aussi, la création des niveaux intérieurs.

Au-delà de ces projets, les architectes de BLAF contribuent par ailleurs à la conception de nouveaux modèles de briques adaptés à la construction de murs massifs, à l’opposé de produits plus légers simulant la brique maçonnée. Réemployer les briques que nous ont laissées nos prédecesseurs ne doit pas non plus nous faire oublier qu’il convient de préparer le terrain aux futurs réemployeurs. Cela passe par les matériaux, la brique en l’occurence, qui doivent être de qualité, durables et résistants, mais aussi par les systèmes constructifs qui permettent une éventuelle déconstruction tout en assurant le plus longtemps possible l’adaptabilité du bâtiment. Les architectes de BLAF agissent sur les deux tableaux, celui des matériaux, en réemployant et en travaillant à l’élaboration de nouveaux types de briques, et sur celui des systèmes constructifs, en privilégiant des modes constructifs par couches successives ou aux systèmes structurels dissociés.


Plus d’informations sur la maison dnA sont disponibles sur le site Opalis. La Fédération Belge de la Brique édite en français une revue trimestrielle dont le numéro de septembre 2021, Briques de réemploi, est consacré, entre autres, aux deux projets de BLAF architecten. Ces projets se retrouvent également sur le site Archdaily, ici et ici.

Reuse at school

Les projets belges BRIC et MØDÜLL, dont nous vous parlions ici, mêlant réemploi et formation, s’adressent principalement aux appreants des métiers techniques de la construction. Mais d’autres projets s’adressent quant à eux davantage aux étudiants ingénieurs ou d’écoles d’art et d’architecture. Voici une liste non exhaustive de projets aux objectifs parfois divers mais ayant tous en commun une forme d’expérimentation du réemploi:

  • La Brighton Waste House est un bâtiment constitué à 85% de déchets de construction. Hébergé sur le site de la University of Brighton (Royaume-Uni), il est quotidiennement utilisé par les étudiants. Ce sont aussi plus de 300 étudiants en architecture et design ainsi que des apprenants des métiers de la construction qui ont participé à sa construction, entre 2013 et 2014, sous la conduite notamment de l’architecte Duncan Baker-Brown. En outre, ce dernier a pris part à la School of Re-construction tenue dans le cadre du projet européen FCRBE et est égalament l’auteur de “The Re-Use Atlas: A Designer’s Guide Towards a Circular Economy”.
  • Rural Studio est un programme de conception-réalisation mené par la School of Architecture, Planning and Landscape Architecture of Auburn University (Alabama, États-Unis) dont le but est de sensibiliser ses étudiants au contexte social des projets d’architecture, tout en fournissant des bâtiments à destination des plus précaires. Plus de 200 projets impliquant un bon millier d’étudiants font ainsi la part belle aux matériaux locaux et peu chers dont de nombreux matériaux isssus du réemploi.
  • L’espace d’exposition RAKE (RAKE Visningsrom) à Trondheim (Norvège) est le résultat d’un workshop par et pour des étudiants d’écoles d’art et d’architecture de Trondheim, Oslo et Bergen, datant de 2011. Le pavillon, déplacé en 2014, met en exergue le réemploi des matériaux, à l’image notamment de l’enveloppe extérieure constituée de fenêtres réemployées. Voir à ce sujet un article sur le site ArchDaily.
  • Les architectes norvégiens de TYIN Tegnestue, qui accompagnaient déjà le processus de construction de l’espace d’exposition RAKE, ont pris pour habitude d’impliquer de nombreux étudiants en architecture à leurs projets intégrant des matériaux locaux et issus du réemploi. De nombreux projets ont été réalisés en collaboration avec des communautés locales, en Asie notamment, mais aussi en Europe. Le projet Porto Marghera, réalisé à Venise en 2013 par des étudiants de l’université locale (Iuav) consistait ainsi en un ensemble de structures en bois de réemploi, issu du pavillon canadien de la Biennale d’Architecture de l’année précédente. Des étudiants du Tecnológico de Monterrey, Puebla (Mexique) et de la NTNU, Norges teknisk-naturvitenskapelige universitet (Norvège) ont participé pour leur part à l’élaboration d’un pavillon en bois entièremnt réversible (Lyset paa Lista) à Lista (Norvège) en 2013.
  • L’architecte sévillan Santiago Cirugeda, à travers son bureau d’architecture Recetas Urbanas, promeut l’auto-construction, l’auto-gestion ou encore l’expérimentation dans une logique de participation et d’appropriation citoyenne. L’un de ses thèmes de prédilection est le réemploi des matériaux et de nombreux étudiants ont pris part à ses projets. Ainsi, l’espace Aula Abierta était construit en 2004 à Grenade, à partir de matériaux réemployés, par des étudiants en arts de la Universidad de Granada et sera par la suite démonté puis reconstruit à Séville en 2012. En 2016 était inaugurée l’extension de la Escuela Superior de Diseño de Madrid, réalisée par et pour les étudiants et leurs professeurs. Le projet baptisé La Escuela Crece peut se targuer de faire usage de 85% de matériaux réemployés.
  • Le festival Bellastock crée en France il y a plus de 15 ans par la coopérative d’architecture du même nom, propose chaque année la création d’une ville éphémère expérimentale à l’échelle 1:1 aux étudiants principalement d’écoles d’art ou d’architecture. Les expérimentations concernent notamment le réemploi des matériaux. Le festival s’est exporté à l’étranger, à Madrid, en 2012, 2013 et 2014, porté par le collectif Madstock.
  • En France, dans le cadre du projet pédagogique Pôle 21 et de ses enseignements à l’École Nationale Supérieure d’Architecture (ENSA) Marseille, Jean-Marc Huygen, auteur notamment de “La poubelle et l’architecte – Vers le réemploi des matériaux” mais aussi porteur du projet d’un réseau européen du réemploi lancé en 2009, participe aux expérimentations mettant en oeuvre des matériaux soutenables ou de réemploi. Les étudiants de l’ENSA Marseille et de l’Université Grenoble Alpes (UGA) puis de l’ENSA Grenoble ont ainsi pratiqué le glanage de matériaux et l’auto-construction sur le site de Barjols (Université Populaire de Barjols sur les Arts du Territoire, UBAT), ou plus récemment de Correns et de Eurre (Biovallée). Pour plus d’informations, voir l’ouvrage collectif “Pôle 21 – 2 ans de réemploi à Barjols” ainsi qu’un retour d’expérience publié sur le site de l’UGA. Auparavant, toujours selon la même logique, Jean-Marc Huygen avait en compagnie de nombreux étudiants, de 2010 à 2012, participé aux expérimentations de la Friche la Belle de Mai. Plus d’informations sont à retrouver sur le site matieras.eu.
  • Dans le cadre d’une initiation au réemploi en architecture pour des étudiants architectes et ingénieurs (ENSA Grenoble et UGA), encadrée par l’agence NA architecture, deux prototypes d’abri vélo ont été réalisés et exposés à Grenoble (France).
  • Dans le cadre de ses enseignements à l’ENSA Paris-Belleville et Bretagne, l’architecte français Cyrille Hanappe (AIR Architectures et Actes et Cités) amène ses étudiants à travailler avec les habitants en situation précaire, et en faisant notamment usage du réemploi. Ils ont par exemple participé à la conception d’une cuisine collective pour les habitants d’un bidonville (réemploi de portes et fenêtres), ainsi qu’à celle d’un lavoir et d’une salle communautaire (réemploi de bois de caisses de déménagement, de panneaux signalétiques, de fenêtres).
  • L’Atelier Na, qui mène des expérimentations liées au réemploi, a participé à des universités d’été, des séminaires ou chantiers participatifs et a notamment réalisé deux modules à partir de matériaux de réemploi, en collaboration avec des étudiants de l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) Strasbourg (France).
  • Le collectif d’architectes allemand raumlaborberlin, spécialisé dans les projets participatifs mettant en oeuvre des matériaux considérés comme des déchets a notamment mené un worshop en 2011, auquel ont participé des étudiants venant de toute l’Italie, pour construire la Officina Roma, une villa éphémère constituée entre autres de bouteilles, de portes de voitures et de bidons d’essence. Le projet a été réalisé dans le cadre de l’exposition “Re-Cycle: Strategies for Architecture, City and Planet” proposée par le MAXXI (Museo nazionale delle arti del XXI secolo) de Rome en 2012. En 2018, à Berlin, le collectif a construit avec de nombreux étudiants la Floating University, lieu d’étude et de recherche devenu depuis association. Au sujet de la Officina Roma, voir cet article de Designboom et au sujet de la Floating University, cet autre article ArchDaily.
  • Dans le cadre du German National Garden Show (BUGA) à Heilbronn (Allemagne) en 2019, des étudiants du Karlsruher Institut für Technologie (KIT) ont participé aux côtés de professeurs à la création du Mehr.WERT.Garten (Added.VALUE.Garden) et du Mehr.WERT.Pavilion. Le pavillon et ses alentours étaient composés principalement de matériaux réemployés ou recyclés, tels que le métal de réemploi constitutif de la structure ou le verre dont est fait l’enveloppe.
  • Le workshop Ephemeral Permanence 1:1, réalisé en 2022 dans le cadre de la cinquième International Conference on Structures and Architecture, à Aalborg (Danemark), a vu les étudiants de différentes universités faire l’expérience d’une construction circulaire. Réemploi de matériaux (colonnes métaliques, poutres et panneaux en bois, blocs de béton, briques, tuiles) mais aussi conception d’un petit pavillon entièrement démontable (utilisation d’étaux métalliques et de cordons élastiques pour l’assemblage) étaient au menu de cette expérimentation dont l’encadrement était lui aussi issu de différentes institutions (Aalborg University, ETH Zürich et University of Antwerp). Voir à ce sujet un article sur le site ArchDaily.
  • Nous nous souvenons aussi de la participation des étudiants de la ZHAW (Fachhochschule de Zurich à Winterthur) aux travaux des architectes du Baubüro in situ.

BAMB

Le projet européen de recherche et d’innovation (Horizon 2020) BAMB (Buildings As Material Banks) a regroupé 15 partenaires issus de 7 pays dans le but d’instaurer une logique circulaire dans le secteur de la construction. Pendant 4 années, de 2015 à 2019, l’objectif de ces partenaires était de rendre leur véritable valeur aux matériaux de construction afin d’éviter qu’ils ne finissent comme déchets. Deux outils ont été principalement utilisés: le passeport matériaux (Materials Passport) et la conception de bâtiments réversibles (Reversible Building Design). Ceux-ci s’accompagnaient de directives, recommandations politiques et nouveaux modèles économiques circulaires. 6 projets pilotes ont permis de tester cette nouvelle stratégie et plusieurs publications pouvant être consultées sur le site web du projet BAMB sont un intéressant retour d’expérience.

La conception de bâtiments réversibles, facilitant leur rénovation, transformation intérieure ou extérieure et le réemploi de leurs composants, a notamment été testée en Belgique (Circular Retrofit Lab et Build Reversible In Conception), en Bosnie-Herzégovine (Green Design Centre) et aux Pays-Bas (Green Transformable Building Lab). Des scénarios de déconstruction, transformation et reconstruction ont ainsi été envisagés ou mis en pratique en situation réelle ou via des modules expérimentaux, le tout faisant la part belle au réemploi! Ces projets comprenaient également une dimension éducative puisque le Green Designe Centre avait pour objectif de devenir un centre d’information public. Le BRIC (Build Reversible In Conception) était quant à lui fabriqué par et pour les apprenants d’un centre de formation professionnelle (efp) alors que le Circular Retrofit Lab servira de laboratoire aux étudiants de la Vrije Universiteit Brussel (VUB).

Une autre conception réversible a été testée à travers l’élaboration de la structure démontable et adaptable d’une exposition itinérante (Reversible Experience Modules). Celle-ci présentait une série de produits et systèmes constructifs pensés en vue d’un futur potentiel réemploi. Chaque matériau s’accompagnait d’un passeport virtuel, sorte de guide sur la façon de les désassembler et d’éviter leur gaspillage. Le passeport matériaux a été par ailleurs testé en situation réelle en Allemagne (New Office Building). Celui-ci prenait bien sûr en compte le potentiel de réemploi de ces matériaux!

Mujeres invisibles

Au cours des dernières décennies, la proportion d’étudiantes dans les écoles d’architecture espagnoles a augmenté considérablement, passant de 15% dans le courant des années 80 à plus de 50% aujourd’hui. Cependant, l’amélioration de la situation des femmes architectes dans le domaine professionnel n’est pas proportionnel à l’augmentation du nombre d’étudiantes. Dans le cas plus spécifique de la communauté autonome du Pays basque, c’est ce que met en évidence une étude de 2020 réalisée par l’architecte Verónica Benedet et financée par Emakunde (Instituto Vasco de la Mujer), qui démontre que «les femmes architectes au Pays basque subissent des inégalités de différentes ampleurs dans presque tous les domaines de l’architecture, tant dans les espaces d’enseignement et de recherche que dans le libre exercice de la profession, dans les fonctions dirigeantes et, fondamentalement, dans la reconnaissance sociale de leurs contributions.» Le plan d’études des écoles d’architecture est le reflet de cette situation, qui demeure centré sur l’idée de génie et auteur individuel, et occulte la contribution et l’héritage des femmes architectes à travers l’histoire, laissant ainsi les étudiantes sans références féminines. D’autre part, ce même plan d’études continue d’afficher une prédilection pour l’aspect formel de constructions nouvelles, délaissant d’autres thématiques comme la réhabilitation ou la rénovation, tout en oubliant la dimension sociale de l’architecture.

Une fois sorties des écoles, il s’agit pour les femmes de s’adapter et de trouver leur place dans un monde professionnel masculinisé, au sein duquel les hommes continuent d’incarner la sécurité et le professionnalisme aux yeux de nombreux clients, et où l’autorité des femmes architectes est souvent remise en cause. Outre les discriminations et la précarité subies par de nombreuses femmes, la passion exclusive pour le métier, apprise et intériorisée dès la première année de leur parcours universitaire, fait que la plupart des femmes finissent par abandonner partiellement ou totalement leur carrière professionnelle devenue incompatible avec les tâches liées à la sphère domestique, qui leur incombent encore majoritairement (la moitié des femmes interrogées lors de l’étude portent encore seules la charge domestique). Les femmes disparaissent ainsi petit à petit des espaces de la profession. Le pourcentage de femmes dans les services d’architecture et d’ingénierie de la communauté autonome du Pays basque, ainsi que le pourcentage de femmes architectes basques inscrites à l’Ordre des architectes, est proche de 30 %. Pour ce qui est de l’école d’architecture ETSA de San Sebastián par exemple, seul 24 % du personnel enseignant et de recherche sont des femmes. Et le pourcentage de femmes récompensées par un prix architectural ou publiées est encore plus faible. Bien que l’étude de Verónica Benedet se concentre sur la communauté autonome du Pays basque, la situation décrite se répète ailleurs. Le combat de Denise Scott Brown pour sa reconnaissance est à cet égard assez évoquateur (voir à ce sujet un article du journal Le Monde), comme peut l’être aussi l’invisibilisation des pionnières de l’architecture à travers le monde (voir à ce sujet un article de Beaux Arts Magazine consacré aux femmes étudiant au Bauhaus).

Cette situation amène les femmes à rechercher des alternatives professionnelles liées à l’architecture et à la construction, mais dans lesquelles leur contribution ainsi que la perspective de genre sont prises en compte. Des pratiques professionnelles à dimension environnementale, sociale et culturelle, et où l’accent est mis sur le travail collectif, comme l’urbanisme inclusif, la réhabilitation, la restauration ou le réemploi, peuvent contribuer à déconstruire les canons androcentriques, donnant naissance à un autre type d’architecture, plus inclusive. Espérons que le monde du réemploi soit conscient de cette capacité de transformation!


L’étude “Arquitectas (in)VISIBLES en Euskadi” réalisée par Verónica Benedet, et qui sert de base à cet article, est disponible sur le site web de Emakunde. Des enquêtes similaires antérieures y sont citées, parmi lesquelles l’étude “Where Are the Women? Measuring Progress on Gender in Architecture” publiée par l’Association of Collegiate Schools of Architecture, ACSA (Etats-Unis et Canada), l’étude “Equity and Diversity in the Australian Architecture Profession: Women, Work and Leadership” publiée par Parlour (Australie), ainsi que le projet européen TRIGGER (Transforming Institutions by Gendering Contents and Gaining Equality in Research). Notons qu’il existe une Asociación de mujeres arquitectas de España (AMAE), une Union Internationale des Femmes Architectes (UIFA), fondée à Paris, ainsi que l’association européenne Yes We Plan!

Stars of reuse

Le prix Pritzker d’architecture vient d’être décerné à Diébédo Francis Kéré (Burkina Faso). Ce choix semble confirmer la tendance d’un prix qui délaisse quelque peu les paillettes pour s’intéresser davantage au processus de création respectueux de l’environnement et des sociétés. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si de nombreux récents lauréats du prix Pritzker le sont aussi du Global Award for Sustainable Design. Au coeur de ces préoccupations, le réemploi apparaît dès lors dans de nombreux projets. Ainsi, l’approche de Diébédo Francis Kéré est collaborative, revisite des modes de construction traditionnels et s’intérresse aux ressources locales telles que la terre ou le bois, mais aussi aux matériaux issus du réemploi. La simplicité constructive et le choix des matériaux permet notamment une réappropriation des techniques par les habitants dans une logique d’auto-construction et contribue à l’essor d’une véritable économie locale. L’éducation semble également particulièrement important aux yeux de l’architecte qui construira de nombreuses écoles, à commencer par l’école primaire de Gando (2001, Burkina Faso), son village natal. Dans un projet similaire, le lycée Schorge (2016, Burkina Faso), la structure du toit du bâtiment ainsi que des panneaux de coffrage fournissent par exemple le métal et le bois dont sont fabriquées les chaises utilisées par les lycéens. Les chutes de chantier deviennent dès lors de nouvelles ressources, locales et peu coûteuses!

D’autres lauréats du prix Pritzker font également usage du réemploi. Le cas le plus connu est sans doutes celui de Wang Shu (Chine), qui avec Lu Wenyu au sein de Amateur Architecture Studio, est l’auteur du Musée d’histoire de Ningbo (2008, Chine). Les façades du musée sont en effet ornées aléatoirement des matériaux récupérés lors des démolitions de la ville ancienne. Le procédé sera répété par la suite, mettant en évidence la destruction de tout un pan de l’habitat traditionnel chinois. Lors de la 10e Biennale d’Architecture de Venise, en 2006, l’architecte installe d’ailleurs son Tiled Garden, constitué de 66000 tuiles récupérées de batiments détruits dans la région de Hangzhou (au sujet du travail de Wang Shu, voir deux articles du site Archdaily ici ou ici). Si les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal (France), souvent accompagnés de Frédéric Druot, à travers leurs projets de transformation d’immeubles de logement, nous montrent qu’une démolition est loin d’être toujours la meilleure solution, Alejandro Aravena (Chili) du bureau Elemental, crée quant à lui des ensembles de logements favorisant l’auto-construction et des pratiques liées au réemploi. Les bâtiments conçus en open-design (les plans sont accessibles librement sur le site de l’agence) sont un cadre facilitant l’appropriation par les habitants, la transformation et l’ensemblage de divers matériaux. Il mettra lui-même en pratique le réemploi lors de la 15e Biennale d’Architecture de Venise de 2016, où plus de 90t de matériaux seront récupérés (nous vous en parlions ici). L’architecte Balkrishna Doshi (Inde) contribue lui aussi à la construction de logements sociaux mais c’est son propre bureau, le Studio Sangath, qu’il construira à l’aide de matériaux réemployés, dont de nombreux carreaux de céramique, issus d’autres chantiers de construction. (voir à ce sujet un article du site Archdaily). Shigeru Ban (Japon) enfin, s’est spécialisé dans des architectures démontables, transportables, et donc réemployables. Ses structures en bois ou en carton sont utilisées dans des domaines parfois très divers, qu’il s’agisse des logements temporaires qui lui valurent le surnom d’architecte de l’urgence (voir à ce sujet un article du site Archdaily), d’une église ou d’une salle de concert, eux aussi éphémères, d’un immeuble de bureaux ou d’un musée nomade. Ce sont par ailleurs des briques issues des décombres du tremblement de terre survenu au Népal en 2015, que l’architecte incorporera à la structure en bois des nouvelles constructions (voir à ce sujet un article du site Designboom).

La pratique du réemploi ne se limite bien sûr pas qu’aux seuls lauréats de prix architecturaux. Pour certains d’entre eux, le réemploi ne constitue d’ailleurs qu’un geste architectural ponctuel au contraire de nombre d’architectes ou de constructeurs plus anonymes. Les prix ont néanmoins l’avantage de rendre visible et de légitimer une démarche encore trop largement ignorée. D’autres “stars” de la discipline, non récipiandaires du Pritzker, participent d’ailleurs à cette visibilisation. Ainsi, ce sont par exemple de vieilles tuiles issues de constructions locales que Kengo Kuma (Japon) utilise tant en façade qu’en toiture du China Academy of Art’s Folk Art Museum (2015, Chine). À plus petite échelle, ce sont les matériaux issus d’une ancienne construction qui sont réemployés in situ, en façade du Murai Masanari Art Museum (2003, Japon). Les architectes du bureau Mecanoo (Pays-Bas) créent pour leur part un patchwork de vieilles pierres et de briques pour former la façade principale du Netherlands Open Air Museum (2000, Pays-Bas). Dans le même esprit, ils utilisent d’anciennes palplanches issues de batardeaux et récupérées dans un canal, pour créer la facade du musée Kaap Skil (2011, Pays-Bas). C’est le réemploi traditionnel de bois flotté par les habitants de la région qui est ainsi célébré (voir à ce sujet un article sur le site Opalis). Les architectes du bureau MVRDV (Pays-Bas toujours) s’intéressent quant à eux au réemploi lors de la création du pavillon néerlandais de la Bogotá Book Fair (2016, Colombie). Le système modulaire mis en place combine des éléments démontables et recombinables qui seront réemployés comme bibliothèques dans différents quartiers de la ville. Enfin, le projet pilote ZEB Pilot House (2014, Norvège) des architectes de Snøhetta (Norvège), se veut une expériementation en vue de réaliser un bâtiment “zéro émissions”. La construction, par ailleurs autosufisante en énergie, est constituée de nombreux matériaux issus du réemploi!

Exhibitions – 2

La liste des expositions consacrées au réemploi est encore longue. Si la Biennale de Lugano était en 2020 entièrement dédiée au réemploi, la Biennale de Venise n’est pas non plus en reste. Le pavillon allemand y présentait en 2012 l’exposition Reduce, Reuse, Recycle (voir un article à ce sujet sur le site Archdaily). En 2018, le pavillon danois exposait quant à lui le travail de Vandkunsten Architects qui ajoutent un quatrième R aux trois précédents, celui de Rebeauty. Le projet se basant sur des recherches antérieures interroge le réemploi de six matériaux à travers la recherche et la construction grandeur nature de prototypes (1:1 mock-up) pensés pour être démontés.

2018 est aussi l’année où Flores & Prats Arquitectes présentent le projet de la Sala Beckett, Assemble une installation de carreaux de céramique destinés au réemploi (The Factory Floor) et où Encore Heureux et le Collectif Etc font expérience de réemploi en récupérant les matériaux d’une ancienne installation (voir vidéo ci-dessus). Deux ans plus tôt, Alejandro Aravena utilisait dans une démarche similaire plus de 90t de déchets issus de la Biennale d’Art 2015 afin de créer deux installations accueillant les visiteurs de la Biennale d’Architecture 2016 (voir un article à ce sujet sur le site Dezeen). En 2016 également, figurent au sein des projets présentés par le pavillon espagnol lauréat du lion d’or de la meilleure participation nationale, plusieurs exemples de réemploi. C’est le cas de la Casa Collage (Bosch.Capdeferro arquitectures) à Gérone, projet résidentiel où pierres, carrelage et ferronneries ont été réemployés in situ. C’est aussi le cas de la Nave 8b. du Matadero de Madrid (Arturo Franco) où de nombreuses tuiles réemployées font office de cloisons, trouvant par là même un nouvel usage.

Signe que les éditions se succèdent mais que le sujet ne perd pas de son importance, le pavillon japonais de l’édition 2021 de la Biennale y est dédié cette année au réemploi, sous le titre de Co-ownership of Action : Trajectories of Elements. Le projet présente les éléments issus de la déconstruction d’une maison traditionnelle en bois, certains de ces éléments étant réemployés dans une nouvelle configuration (voir un article à ce sujet sur le site Designboom). Ce travail sur le réassemblage d’éléments en bois fait par ailleurs écho à la réflexion sur les constructions à ossature bois du pavillon des Etats-Unis ou aux maisons Puutalo préfabriquées en bois du pavillon finlandais.


La Biennale d’Architecture de Venise se tient du 22/05/2021 au 21/11/2021.

Le travail de Vandkunsten Architects autour des prototypes et du réemploi a mené à la publication d’un rapport, disponible ici en téléchargement.