Catedral de Santa María

Lorsque l’on évoque la déconstruction et le réemploi des matériaux de construction, il existe un cas très spécifique qui est celui des sites patrimoniaux. Les objectifs du réemploi ne sont alors plus seulement économiques et environnementaux mais avant tout historiques. La restauration de la cathédrale Santa María de Vitoria-Gasteiz est un bon exemple d’application de ce type particulier de réemploi. Le monument historique dont les bases remontent à l’an 1200 et inscrit par l’UNESCO en 2015 comme l’un des biens individuels du Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle se caractérisait par de graves problèmes structurels. La fermeture de l’édifice au public, la présentation en 1998 du Plan Directeur de Restauration Intégrale et la création de la Fondation Cathédrale Santa María pour le gérer et le développer, ouvrirent une période de restauration de la cathédrale toujours d’actualité après plus de vingt ans.

Tout au long du processus de restauration, l’un des critères fondamentaux a été le réemploi in situ des matériaux. Lorsque ce réemploi est possible, il implique le démontage, le traitement et le stockage d’éléments historiques en bois, pierre ou céramique avant leur réinstallation ou leur éventuelle redistribution dans le but d’améliorer le fonctionnement structurel, en profitant ainsi de travaux antérieurs dans différentes parties de la cathédrale. Lors de la reconstruction des toitures, c’est de cette façon que de nombreuses poutres en bois de chêne ont été récupérées. Ont également été récupérées 13 319 tuiles en céramique destinées plus spécifiquement à la couverture du chevet de la cathédrale, constitué d’une alternance de tuiles courbes concaves et convexes, partiellement superposées. La plupart des tuiles réemployées sont de type convexe (cobija), les tuiles de type concave (canal) ayant été substituées par de nouvelles pièces. Et il n’est pas rare que les pièces réemployées conservent des traces de leur histoire, comme par exemple la marque correspondant à leur atelier d’origine.

Les matériaux historiques réemployés sur les chantiers très spécifiques de protection du patrimoine sont sans aucun doute considérés comme une richesse mais cette vision pourrait-elle s’étendre à d’autres matériaux plus communs? Peut-être pourrions nous nous inspirer du travail réalisé au sein de la cathédrale Santa María et reconnaître également l’importance culturelle du réemploi lorsque celui-ci s’applique à des matériaux et à un patrimoine plus ordinaires.


Le site internet de la Fondation Cathédrale Santa María regroupe de nombreuses informations sur les chantiers de restauration passés et actuels.

Un nouveau musée

La construction du nouveau Musée de folklore de la ville de Mouscron (Belgique) par les architectes du bureau V+ a donné lieu à un réemploi bien particulier de briques anciennes. Dans le cadre d’un décret visant l’intégration d’œuvres d’art dans les bâtiments publics, l’artiste français Simon Boudvin a fait en effet la proposition suivante : « introduire des briques anciennes dans les murs du nouveau Musée, en documenter leurs sites d’origine ».

La construction du Musée intervient de manière un peu paradoxale au moment où plusieurs bâtiments témoins de l’histoire de la ville sont sur le point de disparaître. Ils deviendront néanmoins source de matériaux : « une usine, un entrepôt, des maisons ouvrières, un cinéma, un couvent, une maison bourgeoise, un café, une ferme ont approvisionné de leurs briques les façades du Musée ». Les briques se transforment ainsi en objets de musée tout en conservant leur usage. Si le Musée s’intègre à la trame de la ville, briques anciennes et nouvelles se mélangent quant à elles suivant l’appareil. La proportion de briques réemployées est de 25%. Elle est du fait du bureau d’études : le mélange avec des briques neuves limite en effet l’impact du réemploi sur les tests et calculs de stabilité. Seront réemployées dans le projet 28500 briques, ce qui correspond à environ 34 m³ (source Opalis).

Le Musée est divisé en différents volumes séparés par des joints de dilatation. Chacun de ces volumes, par sa taille, les briques de réemploi qu’hébergent ses murs ou les objets qu’il expose fait référence à une activité bien particulière et donc à un bâtiment bien particulier. De discrets numéros présents en façade déterminent la provenance des briques réemployées. Si la dimension culturelle de ce réemploi semble donc importante, celui-ci ne cherche pourtant pas à devenir militant ou ostentatoire. Une couche de badigeon blanc recouvre l’ensemble des murs et les briques de réemploi ne se distinguent que par certaines aspérités.

La collecte des briques et leur intégration aux murs du Musée s’accompagnent d’un travail de documentation qui a mené Simon Boudvin à la publication d’un livre. Celui-ci décrit l’ensemble de l’opération, le nouveau Musée ainsi que les bâtiments dont sont issues les briques. Les citations ainsi que le titre de l’article sont empruntés à ce livre : Simon Boudvin, UN NOUVEAU MUSÉE, Accattone et MER. Paper Kunsthalle, 2018.

RE2020

Alors que va être lancé à Paris un syndicat des acteurs du réemploi des matériaux de construction, le contexte français est de plus en plus favorable au réemploi. Et le contexte législatif ne fait pas défaut. Nous vous avons déjà parlé du Permis de faire et de ses dérivés ainsi que du principe d’effets équivalents, ou plus récemment du diagnostic PEMD, mais un autre dispositif semble également avancer dans le sens du réemploi. Il s’agit de la Réglementation Environnementale 2020 (RE2020).

Prévue par la loi ELAN (loi nº2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) afin de limiter l’impact énergétique et environnemental des bâtiments neufs, la RE2020 remplace la réglementation thermique RT2012 qui visait l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments et la baisse des consommations, notamment via l’isolation. Si les objectifs de sobriété énergétique et de décarbonation de l’énergie sont toujours d’actualité avec la RE2020, s’y ajoutent une prise en compte du confort en cas de forte chaleur mais aussi la volonté de diminuer l’impact carbone des constructions en fixant des seuils amenés à évoluer dans le temps. C’est ce dernier point qui concerne particulièrement le réemploi des matériaux. Il introduit en effet une nouvelle méthodologie basée sur une analyse en cycle de vie (ACV) qui prend en compte l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’un bâtiment tout au long de sa vie, de la construction à la démolition. Dans le cas de bâtiments neufs, ces deux phases (construction et démolition) regroupent à elles seules 60% à 90% de l’impact carbone calculé sur une durée de 50 ans. La prise en compte des émissions d’un bâtiment dès sa construction permet d’avoir un impact sur les choix constructifs et donc de privilégier les solutions peu émettrices, dont le réemploi fait partie. Par ailleurs, a été privilégiée une ACV dite dynamique (et non statique) qui attribue un poids plus important aux GES émis au début du cycle de vie.

Plusieurs textes de loi précisent les exigences de la RE2020 et réorganisent le Code de la construction et de l’habitation français (CCH). L’arrêté du 4 août 2021 détaille quant à lui la méthode de calcul de l’impact environnemental en intégrant une convention spécifique liée à l’utilisation de composants issus du réemploi ou de la réutilisation qui “sont considérés comme n’ayant aucun impact. Les valeurs des impacts pour tous les modules du cycle de vie sont donc nuls.” Si la prise en compte de l’impact environnemental des bâtiments dès leur construction semblait déjà favorable au réemploi, considérer que les matériaux issus du réemploi n’émettent pas de GES supplémentaire ne fait que renforcer leur attrait!

La RE2020 est deveunue obligatoire à partir du 1er janvier 2022 pour les nouveaux logements individuels et collectifs et le deviendra le 1er juillet 2022 pour la construction de bureaux et de bâtiments d’enseignement primaire ou secondaire. Des bâtiments tertiaires plus spécifiques seront soumis ultérieurement à cette obligation.


Pour en savoir plus sur la RE2020, le Ministère de la Transition Écologique français a créé un site dédié.

Collectif Etc – 3

Si le bois de palette est un élément récurrent des projets mêlant réutilisation et réemploi, un autre matériau standardisé qui lui est proche trouve une utilisation intéressante en 2012 dans le projet d’aménagement du jardin Michelet à Colombes, près de Paris. Il s’agit de panneaux de séchage pour parpaings, aux dimensions bien définies : 140×110×4 cm dans le cas qui nous occupe. Ces panneaux en bois sont par ailleurs fréquemment renforcés sur les côtés par des profilés métalliques.

Le jardin Michelet est pour sa part l’un des éléments du projet R-urban, porté par l’atelier d’architecture autogérée (aaa). Dans une logique de création de réseaux locaux et de circuits courts, ce projet d’économie sociale et solidaire regroupe différents pôles s’articulant autour des questions de l’habitat (EcoHab), du recyclage (RecycLab) ainsi que de l’agriculture urbaine (AgroCité). C’est dans le jardin qui abrite l’AgroCité, qu’est intervenu le Collecif Etc. Auto-construction et réemploi étaient bien entendu au menu ! L’intervention porte sur un espace technique et un autre de rencontre, reliés par un axe central. Leur système constructif suit une trame régulière déterminée par les dimensions standardisées des panneaux de bois. Ceux-ci recouvrent planchers et parois des différents espaces. La régularité de la trame facilite par ailleurs d’éventuels ajouts ou modifications.

Les planches de séchages et une série d’autres matériaux de construction de seconde main récupérés sur chantier ou achetés auprès de fournisseurs spécialisés ont ainsi été valorisés par le Collectif Etc mais aussi par l’atelier d’architecture autogérée au sein du projet principal de l’AgroCité. Ces ressources ont été recensées sur le site internet du projet. Un nouveau réemploi des éléments constitutifs de l’AgroCité (madriers, fenêtres, portes…) sera d’ailleurs pratiqué lors du déménagement du projet. Il sera en effet déconstruit puis reconstruit en 2018 sur un nouveau site, à Gennevilliers.

Une série d’informations plus techniques sur les panneaux de séchage sont notamment disponible sur le site Opalis. Les caractéristiques techniques observées en Espagne peuvent différer légèrement puisque les dimensions des panneaux y sont en général inférieures. Il est cependant tout aussi possible de s’y fournir en seconde main. Les panneaux souvent réalisés en bois de pin existent également en plastique ou en métal.

Collectif Etc – 2

Habitué au travail du bois, le Collectif Etc participe en 2016 au chantier de remontage d’une ancienne étable à colombages du XIXe siècle. Celui-ci a lieu sur le site de l’Écomusée d’Alsace, musée en plein air dédié aux traditions et à la vie actuelle. Ce réemploi, servi par les techniques traditionnelles de la construction en bois, fat suite à un travail préalable de déconstruction et de numérotage de la part des équipes du musée. La vision d’une tradition remise au goût du jour défendue par l’Écomusée se traduit, lors de la reconstruction, par la réinterprétation des techniques anciennes et l’utilisation de vis ou d’un mur en béton. D’anciennes tuiles artisanales seront également réemployées. Tout ceci nous rappelle l’importance de certaines techniques parfois oubliées et les leçons qu’il y aurait à en tirer alors que nous redécouvrons la déconstruction et le réemploi.

Toujours sur le site de l’Écomusée, le Collectif Etc mène en parallèle un travail de recomposition d’une autre structure à colombages. Cette fois-ci, des pièces sont manquantes et le plan n’existe plus : un véritable puzzle pour constructeur en kit avec comme seule piste la petite plaque métallique numérotée que portent certaines pièces en bois. Les inévitables difficultés rencontrées illustrent bien l’importance de la déconstruction et de la numérotation qui, si elles sont correctement effectuées, peuvent permettre un réemploi rapide de structures parfois très anciennes !

Collectif Etc – 1

Les architectes et constructeurs français du Collectif Etc ont choisi de questionner nos pratiques urbaines et architecturales dans une logique d’autogestion égalitaire par les usagers. Le collectif accorde dès lors une grande importance au processus de création et à l’expérimentation. Il a la volonté de tisser des liens avec une série d’acteurs aux compétences très diverses. Ceci a par exemple débouché sur un périple d’un an à vélo à la découverte de la «fabrique citoyenne de la ville» (Détour de France), sur une incursion dans le monde de l’édition (la cabane d’édition Hyperville) ou sur la fondation d’un lieu propre (l’Ambassade du Turfu). Ce brassage d’idées et de pratiques amène naturellement le collectif à travailler avec et pour le réemploi. La cité de chantier construite à proximité de la Grande Halle de Colombelles avec de nombreux matériaux de réemploi n’est pas leur seul projet dans ce domaine.

Ainsi, en 2012, sur invitation à Grenoble des Arpenteurs, le collectif participe à la transformation d’un ancien local de vente de piscine, bâtiment industriel fourni par l’Établissement Public Foncier Local (EPFL), pour en faire une fabrique de solutions pour l’habitat. Renommé la Piscine, le lieu allait permettre le débat et l’expérimentation autour des questions de l’habitat, notamment à travers l’auto-construction et la réutilisation. Divisé en plusieurs lots attribués à différents collectifs, l’ensemble regroupe un atelier de fabrication de meubles, un espace polyvalent de rencontre et d’échange, une cuisine et une réserve. Grâce à une collecte de matériaux, cette dernière sera organisée en ressourcerie en vue des travaux ainsi que du fonctionnement ultérieur du lieu. Sera réutilisé du bois de palettes : des centaines de planches destinées notamment à la création de deux grandes tables. Des chutes de rideaux seront réassemblés en une grande pièce séparant les espaces. D’anciens meubles ainsi qu’une baignoire viendront équiper la cuisine. Les chutes de bois serviront à la création de lettres utilisées en façade et qui donnent sa nouvelle identité au bâtiment. Dans une logique de transmission, des notices de fabrications seront par ailleurs adjointes aux différents meubles élaborés.

L’exposition Matière Grise du Pavillon de l’Arsenal à Paris, dont les architectes d’Encore Heureux sont les commissaires, voyagera par las suite à Nice en 2015 au Forum d’Urbanisme et d’Architecture pour y présenter des projets de réemploi. Cette nouvelle édition sera l’occasion d’une installation in situ de la part du collectif. Les restes de l’exposition précédente mais aussi le centre de tri des déchets du bâtiment de l’industriel Véolia leur fourniront les matériaux nécessaires à la création d’une gamme de mobilier, principalement du bois issu de planches de coffrage. Ces matériaux alimenteront également une ressourcerie présente au sein de l’exposition et mise à la disposition des visiteurs après avoir servi au projet lui-même. Le mauvais état de ces matériaux et les différentes actions nécessaires afin de pouvoir les utiliser (sélection, déclouage, redécoupage, ponçage…) illustrent bien la différence qu’il y a entre réutilisation et réemploi et les difficultés qu’il y a à travailler avec des ressources ayant acquis un statut de déchet.

Lors de la 16e Biennale Internationale d’Architecture de Venise en 2018, le collectif participe à l’élaboration de la scénographie du Pavillon Français dont les commissaires sont les architectes d’Encore Heureux. Mettant en avant dix expérimentation françaises, tant architecturales que sociales et culturelles, le thème du Pavillon, Lieux infinis, correspond bien au collectif qui ne construit pas tant des bâtiments que des lieux. La scénographie utilisera les restes de la contribution française à la Biennale d’Art de l’année précédente (Studio Venezia de l’artiste Xavier Veilhan) : des centaines de plaques de contre-plaqué okoumé. Au préalable démontées et stockées, elles seront réemployées in situ, habillant la structure de l’espace principal ou se transformant en assises et plateaux des tabourets, bancs et tables créés pour l’occasion.


D’autres projets liés au réemploi sont également décrits de façon exhaustive sur le site du collectif.

Loi AGEC

En France, outre les nouvelles possibilités offertes par le Permis de faire et ses dérivés, d’autres avancées législatives sont à l’ordre du jour, avec peut-être une portée plus concrète sur le monde du réemploi.

En effet, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, dite loi AGEC (loi nº 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire), fait évoluer le diagnostic déchets dans le sens d’un diagnostic ressources, en mettant en place un diagnostic « produits-matériaux-déchets ». Celui-ci concerne non seulement des démolitions mais aussi des réhabilitations significatives et a notamment pour objectif d’augmenter le taux de réemploi. Pour ce faire, l’article 51 qui modifie le Code de la construction et de l’habitation, définit un diagnostic qui « fournit les informations nécessaires relatives aux produits, matériaux et déchets en vue, en priorité, de leur réemploi ». L’article 59 qui modifie cette fois le Code de l’environnement, recommande pour sa part lors de la construction ou de la rénovation de bâtiments dans le cadre d’une commande publique, de veiller au « recours à des matériaux de réemploi ou issus de ressources renouvelables ». Un tel diagnostic doit être réalisé par des professionnels présentant des garanties de compétences et d’assurance. La liste des nouveaux métiers liés au monde du réemploi semble donc s’étoffer.

Les « catégories de bâtiments » et « la nature des travaux de démolition ou réhabilitation » faisant l’objet de cette obligation de diagnostic ont été récemment précisées par décret (Décret nº 2021-821 du 25 juin 2021). Celui-ci rappelle en outre la priorité à accorder au réemploi : il est ainsi prévu que le diagnostic devenu « produits-équipements-matériaux-déchets » (PEMD) détermine la nature, la quantité, la localisation et l’état des éléments pouvant être réemployés. Il fournira par ailleurs des indications sur les possibilités de réemploi ainsi que sur la dépose, le stockage ou le transport de ces éléments. Un tel diagnostic deviendra obligatoire dès 2022 !


De plus amples informations sur le sujet sont disponibles en français sur la plateforme collaborative DÉMOCLÈS. Celle-ci réunit ses partenaires issus du monde de la démolition autour d’une logique de prévention et de gestion des déchets, en envisageant d’autres voies que celle de l’unique recyclage.

En français toujours, le site materiauxreemploi.com publie régulièrement des articles détaillés sur ces sujets de droit, dont le replay d’une conférence qui fournit quantité d’autres détails sur l’application pratique de telles mesures.

Exhibitions – 2

La liste des expositions consacrées au réemploi est encore longue. Si la Biennale de Lugano était en 2020 entièrement dédiée au réemploi, la Biennale de Venise n’est pas non plus en reste. Le pavillon allemand y présentait en 2012 l’exposition Reduce, Reuse, Recycle (voir un article à ce sujet sur le site Archdaily). En 2018, le pavillon danois exposait quant à lui le travail de Vandkunsten Architects qui ajoutent un quatrième R aux trois précédents, celui de Rebeauty. Le projet se basant sur des recherches antérieures interroge le réemploi de six matériaux à travers la recherche et la construction grandeur nature de prototypes (1:1 mock-up) pensés pour être démontés.

2018 est aussi l’année où Flores & Prats Arquitectes présentent le projet de la Sala Beckett, Assemble une installation de carreaux de céramique destinés au réemploi (The Factory Floor) et où Encore Heureux et le Collectif Etc font expérience de réemploi en récupérant les matériaux d’une ancienne installation (voir vidéo ci-dessus). Deux ans plus tôt, Alejandro Aravena utilisait dans une démarche similaire plus de 90t de déchets issus de la Biennale d’Art 2015 afin de créer deux installations accueillant les visiteurs de la Biennale d’Architecture 2016 (voir un article à ce sujet sur le site Dezeen). En 2016 également, figurent au sein des projets présentés par le pavillon espagnol lauréat du lion d’or de la meilleure participation nationale, plusieurs exemples de réemploi. C’est le cas de la Casa Collage (Bosch.Capdeferro arquitectures) à Gérone, projet résidentiel où pierres, carrelage et ferronneries ont été réemployés in situ. C’est aussi le cas de la Nave 8b. du Matadero de Madrid (Arturo Franco) où de nombreuses tuiles réemployées font office de cloisons, trouvant par là même un nouvel usage.

Signe que les éditions se succèdent mais que le sujet ne perd pas de son importance, le pavillon japonais de l’édition 2021 de la Biennale y est dédié cette année au réemploi, sous le titre de Co-ownership of Action : Trajectories of Elements. Le projet présente les éléments issus de la déconstruction d’une maison traditionnelle en bois, certains de ces éléments étant réemployés dans une nouvelle configuration (voir un article à ce sujet sur le site Designboom). Ce travail sur le réassemblage d’éléments en bois fait par ailleurs écho à la réflexion sur les constructions à ossature bois du pavillon des Etats-Unis ou aux maisons Puutalo préfabriquées en bois du pavillon finlandais.


La Biennale d’Architecture de Venise se tient du 22/05/2021 au 21/11/2021.

Le travail de Vandkunsten Architects autour des prototypes et du réemploi a mené à la publication d’un rapport, disponible ici en téléchargement.

Exhibitions – 1

Qu’il s’agisse d’expositions thématiques directement liées au sujet, ou d’expositions interrogeant les nouvelles manières de construire dans un contexte de crise sociale, environnementale et économique, le réemploi a été souvent mis à l’honneur ces dernières années.

L’une des plus connues en France a sans doute été dès 2014 l’exposition Matière Grise, commanditée par le Pavillon de l’Arsenal et dont les commissaires étaient les architectes d’Encore Heureux. L’exposition qui invitait à utiliser « plus de matière grise » et « moins de matières premières », présentait 75 projets de réemploi à travers le monde et soulignait le potentiel d’une telle pratique. Elle deviendra par la suite itinérante et sera présentée en de nombreux endroits en France et à l’international. Ce sera le cas notamment à Barcelone ainsi qu’au Colegio Oficial de Arquitectos de Madrid (COAM) en 2017 ou à Anglet en 2019.

À Bruxelles, c’est l’exposition Life under a cherry tree des Belges de Rotor qui présentait en 2019 à La Loge une série de matériaux issus de déconstructions ainsi qu’une réflexion sur leur réemploi. Cette exposition faisait suite à d’autres sur le même sujet en 2015 à Liège (Deconstruction), en 2016 à Bordeaux (Deconstruction) au sein de l’exposition constellation.s imaginée par arc en rêve centre d’architecture, en 2017 à Hasselt autour du réemploi de carreaux de céramique (Ceramic tiles), ainsi qu’à une réflexion en 2013 sur l’architecture durable à la Oslo Architecture Triennale (Behind the Green Door) ou à une autre en 2010 sur l’usure des matériaux (Usus/usures) protagoniste du pavillon belge à la Biennale de Venise.

Les Danois du Lendager Group présentaient quant à eux en 2017 au Danish Architecture Centre l’exposition Wasteland (voir un article à ce sujet sur le site Archdaily).

Le travail des Anglais d’Assemble faisait l’objet d’une exposition en 2017 au Architekturzentrum Wien (Az W) sous le titre How We Build. Celui des Suisses du Baubüro in situ était pour sa part présenté en 2018 au Musée Suisse d’Architecture à Bâle (S AM) au sein de l’exposition Transform et a fait très récemment partie d’une exposition à Graz à la Haus Der Architektur (HDA), Material Loops, qui regroupe des travaux théoriques et pratiques autour des matériaux de réemploi. Y sont par ailleurs exposés des projets allemands, autrichiens ou néerlandais, dont ceux de Superuse Studios.


L’exposition Matière Grise s’accompagnait d’un ouvrage, réédité il y a peu, toujours par le Pavillon de l’Arsenal et disponible ici

Permis de faire

En architecture, l’utilisation de matériaux de réemploi relève bien souvent d’une forme d’expérimentation, tant du point de vue technique que créatif. L’aspect légal de ces expérimentations peut dans certains cas devenir un frein au réemploi. Sur ce point, et depuis quelques années, les choses semblent bouger en France. 

Le « Permis de faire », cher à l’architecte-constructeur Patrick Bouchain, a été traduit une première fois à titre expérimental dans des textes légaux, à l’article 88 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 (Loi LCAP, relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine). L’article, portant sur les logements et bâtiments publics, autorisait les personnes publiques à déroger à certaines règles de construction (fixées par le Décret n° 2017-1044 du 10 mai 2017) à la condition d’atteindre des objectifs similaires. Ceci concernait notamment les matériaux et leur réemploi.

Un nouveau texte viendra élargir ce dispositif. Il s’agit de l’article 49 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 (Loi ESSOC, pour un État au service d’une société de confiance) qui introduit le « Permis d’expérimenter », précisé à travers deux ordonnances. La première (Ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018) étend le dispositif initial à d’autres champs d’expérimentation ainsi qu’à tous les maîtres d’ouvrages. Une deuxième ordonnance (Ordonnance n° 2020-71 du 29 janvier 2020) vient quant à elle pérenniser ces expérimentations en réécrivant le Code de la construction et de l’habitation (CCH). Dans un esprit d’innovation, tant architecturale que technique, une règle d’objectifs et de résultats à atteindre via le principe de la solution dite « d’effets équivalents » se substitue ainsi à la règle de moyens par l’utilisation de normes. Une validation de la demande par un organisme indépendant de l’opération apporte un élément de contrôle. Dans le domaine du réemploi, les matériaux ne doivent donc plus correspondre à une série de normes lorsque celles-ci sont imposées, ce qui n’est pas non plus toujours le cas, mais démonstration doit être faite de résultats équivalents à ceux attendus par ces normes ainsi que de leur caractère innovant.

La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 (Loi ELAN, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) introduit de son côté le principe du « Permis d’innover », légèrement différent puisqu’il concerne les zones géographiques particulières de certaines grandes opérations, est validé par des pouvoirs publics et permet d’innover dans la construction mais aussi en matière d’urbanisme par exemple.

Si toutes ces démarches semblent par moment se recouper, il est important de signaler que l’idée initiale du « Permis de faire » qui allait dans le sens de la simplification et de l’intérêt général ne se retrouve que de façon très partielle dans toutes ces nouvelles moutures. Elles permettent de déroger à certaines règles mais en instaurent d’autres puisqu’il s’agit d’apporter la preuve d’une innovation et d’effets équivalents. Il est par ailleurs difficile de savoir dans quelle mesure tous les maîtres d’ouvrages qui le désirent pourront se permettre d’entreprendre des démarches qui restent compliquées et coûteuses. Le réemploi n’a d’ailleurs pas attendu ce nouvel arsenal législatif pour s’accommoder des normes et imaginer des solutions alternatives. Néanmoins, ces différents textes de loi dont l’expérience nous dira s’ils ont permis de réelles avancées, ont l’avantage d’entrouvrir une porte, d’envisager les projets d’architecture d’une autre manière et de s’intéresser aux matériaux et à leur réemploi.