Baksteen

La construction en briques de réemploi semble gagner du terrain dans les pays qui ont la brique au coeur de leurs pratiques constructives. À l’heure actuelle, ce matériau y joue toutefois principalement un rôle de parement et les briques de réemploi ne font pas défaut à cette nouvelle règle. L’absence de fonction structurelle peut faciliter l’intégration de briques anciennes à un nouveau projet même si certaines présentent des qualités supérieures à celles de briques neuves. C’est ce qui a été mis en évidence par le bureau d’architecture BLAF architecten lors de tests réalisés pour la construction de maisons unifamilliales en Belgique. La Belgique, et la Flandre en particulier, est l’un de ces endroits où la baksteen (brique en néerlandais) est traditionnellement très présente. Il est donc naturel qu’on y retrouve aussi de nombreux revendeurs de briques de réemploi. Les architectes de BLAF, rôdés à la rénovation et habitués à travailler avec ce matériau particulier, notamment au travers du projet de recherche Brick Wall City, ont donc non seulement fait le choix de la brique de réemploi, mais aussi celui de conserver sa fonction structurelle originelle. Le mur de maçonnerie sera donc porteur!

Cette approche remarquable du réemploi de briques a été mise en pratique lors de la construction de la maison dnA, à Asse. L’idée était d’y combiner les nouveaux standards en matière d’isolation à la simplicité constructive des maisons traditionnelles et à l’adaptabilité que celles-ci peuvent offrir. On retrouve donc dans la maison dnA des murs porteurs en briques et une structure plus légère en bois fonctionnant indépendamment l’une de l’autre. Les murs en briques supportent la toiture et bien qu’ils assurent une certaine inertie thermique au bâtiment, c’est une structure secondaire en ossature bois qui forme les niveaux intérieurs et permet l’isolation. Ce système constructif hybride, cette boîte dans la boîte, traite chaque matériau séparément, par couches successives, en permettant ainsi d’allonger la durée de vie d’une construction qui pourrait être entièrement réhabilitée de l’intérieur sans que l’aspect extérieur ne change. Du point de vue structurel, les nombreux angles droits ainsi que des poutres de ceinture en béton renforcent la stabilité d’une enveloppe extérieure constituée de 50 m³ de briques de réemploi. Par ailleurs, au-delà de l’aspect esthétique et environnemental, ce choix s’est aussi révélé être économique.

Le projet de la maison gjG, à Gentbrugge, voit les architectes poursuivre leurs expérimentations sur les murs porteurs en briques de réemploi. Cette fois ce ne sont plus les angles droits qui renforcent la stabilité du mur en briques mais des courbes en dialogue avec l’environnement boisé de la maison. Autre variation sur un même thème, c’est la face intérieure du mur qui devient porteuse de la toiture, les briques extérieures étant utilisées en parement. Entre ces deux faces est placée l’isolation. Cette adaptation de l’habituel mur creux rempli d’isolant à la maçonnerie en briques est une nouvelle façon de lui rendre une place qu’elle avait perdue. Une structure bois et acier, indépendante de l’enveloppe en briques, permet ici aussi, la création des niveaux intérieurs.

Au-delà de ces projets, les architectes de BLAF contribuent par ailleurs à la conception de nouveaux modèles de briques adaptés à la construction de murs massifs, à l’opposé de produits plus légers simulant la brique maçonnée. Réemployer les briques que nous ont laissées nos prédecesseurs ne doit pas non plus nous faire oublier qu’il convient de préparer le terrain aux futurs réemployeurs. Cela passe par les matériaux, la brique en l’occurence, qui doivent être de qualité, durables et résistants, mais aussi par les systèmes constructifs qui permettent une éventuelle déconstruction tout en assurant le plus longtemps possible l’adaptabilité du bâtiment. Les architectes de BLAF agissent sur les deux tableaux, celui des matériaux, en réemployant et en travaillant à l’élaboration de nouveaux types de briques, et sur celui des systèmes constructifs, en privilégiant des modes constructifs par couches successives ou aux systèmes structurels dissociés.


Plus d’informations sur la maison dnA sont disponibles sur le site Opalis. La Fédération Belge de la Brique édite en français une revue trimestrielle dont le numéro de septembre 2021, Briques de réemploi, est consacré, entre autres, aux deux projets de BLAF architecten. Ces projets se retrouvent également sur le site Archdaily, ici et ici.

CHARM

Le projet européen (Interreg North-West Europe) CHARM (Circular Housing Asset Renovation & Management) a pour objectif principal l’optimisation du réemploi des matériaux de construction dans la gestion, la rénovation et la construction de logements sociaux. Le projet tend en effet à s’éloigner de la tendance actuelle qui consiste à améliorer le recyclage des déchets de construction et de démolition (DCD) mais aboutit bien souvent à une forme de sous-recyclage (downcycling). Ce qui est visé ici, c’est donc bien un réemploi optimal des matériaux de construction. Au-delà de la démonstration, le projet CHARM a également pour objectif de favoriser l’adoption de cette approche innovante par ses partenaires ainsi que par l’ensemble du secteur. Ce projet regroupe différents organismes de logement social autour de la TU Delft (Delft University of Technology) ainsi que d’autres acteurs du monde du logement ou de la recherche. Sont annoncées 40 000 tonnes de matériaux qui pourraient être sauvées annuellement du downcycling rien que par les différents organismes partenaires!

Le projet CHARM a des objectifs très proches de ceux d’autres projets européens, FCRBE ou BAMB, avec lesquels il collabore mais se concentre néanmoins sur l’économie circulaire dans le logement social. Des stratégies spécifiques permettant la circulation des matériaux de réemploi sont ainsi mises en place au sein de projets pilotes menés dans 4 pays par les différents organismes de logement social partenaires. L’émission de directives et la mise en place de plateformes d’échange doivent aider au développement de ces stratégies. Celles-ci peuvent s’appliquer à la rénovations ou à la nouvelle construction et concernent du réemploi in-situ ou ex-situ, ainsi que le design et la construction en vue du réemploi.

Ainsi, en Angleterre, ce sont des logements en bois qui seront construits par GreenSquareAccord avec l’objectif de favoriser leur montage, démontage et remontage mais aussi le réemploi de leurs composants. En France, Paris Habitat utilisera pour sa part l’expérience de projets pilotes antérieurs pour mener à bien plusieurs opérations de rénovation (en collaboration notamment avec la Ville de Paris et Backacia) dans le but d’y doubler le volume de réemloi et de développer une plateforme d’échange de matériaux. Afin de les sensibiliser à l’utilisation de matériaux de réemploi, le projet néerlandais de Woonbedrijf visera quant à lui l’implication des futurs locataires et du voisinage dans le processus de création de nouvelles constructions pensées également en vue d’une future déconstruction. En Belgique enfin, Zonnige Kempen (accompagné notamment par Rotor) se chargera entre autres d’une rénovation avec stockage et réemploi sur site ainsi que de la création d’une plateforme d’échange de matériaux et comparera le taux de récupération de matériaux issus de la déconstruction à celui d’un projet similaire mais mené par démolition.


Une description plus détaillée des différents projets pilotes peut être trouvée ici.

Reusing posidonia

À Formentera, dans les îles Baléares, le projet LIFE Reusing Posidonia avait pour but de réduire significativement l’empreinte écologique d’un bâtiment de logements sociaux en utilisant des ressources locales et des techniques artisanales, tout en démontrant la viabilité de telles solutions. L’objectif était notamment de réduire de 50% tant les émissions de CO2 liées à la construction que la production de déchets qui en découle, en maintenant un surcoût inférieur à 5%. Plus concrètement, ce projet d’adaptation au changement climatique, achevé en 2018, consistait en la création et la monitorisation de 14 logements sociaux. Dans le cadre du programme européen LIFE (LIFE12/ENV/ES/000079, LIFE+ 2012), celui-ci était porté par une entité publique de promotion de logements sociaux, l’Instituto Balear de la Vivienda (IBAVI), en collaboration avec la Dirección General de Energía y Cambió Climático de la Communauté Autonome des Îles Baléares. Pour atteindre leurs objectifs, les architectes de l’IBAVI s’inspireront de l’architecture traditionnelle en utilisant principalement des ressources locales. Parmi celles-ci, la posidonie, une herbe marine dont les feuilles mortes viennent s’échouer sur les plages et qui peuvent être utilisées comme isolant, mais aussi des matériaux de réemploi!

Au-delà des avantages environnementaux indéniables, la dimension économique et sociale a également son importance pour les responsables du projet, qui déclarent: « au lieu d’investir dans une industrie chimique située à 1500 km, nous consacrerons le même budget à une main d’oeuvre locale peu qualifiée ». Tout en faisant la promotion du logement social, il s’agit donc aussi de soutenir une industrie artisanale locale et écologique. Une architecture low-tech, mêlant ressources disponibles sur l’île (grès, argile, céramique, chaux aérienne), matières importés mais avec certification environnementale (bois, chaux hydraulique) et matériaux de réemploi, semble donc être la combinaison qui permette d’atteindre ces objectifs. Un tel choix nécésite néanmoins la prise en compte, dès la conception du projet, de systèmes constructifs intégrant ces matériaux spécifiques. L’accent a également été mis sur la performance énergétique du bâtiment, de classe A, notamment par l’utilisation de béton cellulaire. Et l’influence de l’architecture traditionnelle se traduit aussi par la conception bioclimatique des logements. Les porches, pergolas ou persiennes sont tout sauf décoratifs et il en va de même des câbles tendus en façade, qui facilitent le développement de plantes grimpantes.

L’un des éléments fares du projet est donc la posidonie, protégée et indispensable à la conservation des plages, et dont l’utilisation requiert une autorisation. Cependant la grande quantité de posidonie échouée sur les plages permet, de façon encadrée, d’en prélever la couche supérieure. Ces volumes excédentaires pourraient même servir d’isolation à toutes les nouvelles constructions de l’île. De nombreux tests ont démontrés par ailleurs qu’une fois séchée, elle ne nécésite pas de traitement supplémentaire, le sel marin agissant comme conservateur et biocide.

Outre l’utilisation de posidonie, le réemploi a aussi une part importante dans le projet. Ainsi, les menuiseries intérieures sont constituées de portes et fenêtres de réemploi, et les portes extérieures du rez-de-chaussée sont fabriquées à partir de lattes en bois de pin provenant d’anciens sommiers. Ces éléments réemployés sont fournis par la Fundació Deixalles de Mallorca (fondation d’économie solidaire active dans les domaines de l’environnement et du traitement des déchets). Faites de bois ancien, les portes et fenêtres ont souvent vu leurs dimensions modifiées et sont utilisées en tant que panneaux coulissants, ce qui simplifie leur intégration au projet. Au total, ce sont plus d’une centaine d’éléments qui seront réemployés! À la réutilisation de terres d’excavation ou de débris de béton cellulaire, s’ajoute également le réemploi de nombreuses palettes, trop chères à renvoyer sur le continent, et utilisées en toiture comme structure secondaire servant de support aux panneaux OSB, une fois répartie la posidonie.

Finalement, les objectifs initiaux de réduction des déchets et des émissions de CO2 ont été atteints et même dépassés puisque la réduction de CO2 a été évaluée à plus de 63%. La logique qui traverse tout le projet, depuis sa conception bioclimatique, l’utilisation de techniques artisanales et de matériaux locaux ou de réemploi, à sa finalité sociale, illustre bien l’importance qu’il y a à considérer le réemploi comme partie intégrante, au même titre que d’autres principes, d’une nouvelle approche de l’architecture et de la construction. Nouvelles façons de faire où les matériaux de réemploi disponibles sont à chaque fois différents, comme le sont les ressources naturelles. Aux Baléares, il s’agissait de menuiseries et de posidonie. Quels sont ceux dont nous nous servirons ailleurs?


L’ensemble du contenu présent sur le site du projet LIFE Reusing Posidonia, ainsi que celui que nous reproduisons dans cet article, est disponible sous la licence Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike (CC BY-NC-SA) 4.0. On y retrouve notamment une publication détaillant le projet, à télécharger ici. Une exposition itinérante consacrée au projet a notamment fait escale à Séville, Madrid ou Barcelone.

La philosophie de ce projet en inspirera d’autres, dont un, toujours de logements sociaux, mené également par les architectes de l’IBAVI à Palma de Mallorca, et achevé en 2021. L’utilisation de grès local et de posidonie s’accompagnera cette fois du réemploi en toiture de panneaux de coffrage. Voir à ce sujet un article sur le site de The Architectural Review ou de la revue Arquitectura Viva. La même revue propose d’ailleurs un article sur le projet de Formentera.

Reuse at school

Les projets belges BRIC et MØDÜLL, dont nous vous parlions ici, mêlant réemploi et formation, s’adressent principalement aux appreants des métiers techniques de la construction. Mais d’autres projets s’adressent quant à eux davantage aux étudiants ingénieurs ou d’écoles d’art et d’architecture. Voici une liste non exhaustive de projets aux objectifs parfois divers mais ayant tous en commun une forme d’expérimentation du réemploi:

  • La Brighton Waste House est un bâtiment constitué à 85% de déchets de construction. Hébergé sur le site de la University of Brighton (Royaume-Uni), il est quotidiennement utilisé par les étudiants. Ce sont aussi plus de 300 étudiants en architecture et design ainsi que des apprenants des métiers de la construction qui ont participé à sa construction, entre 2013 et 2014, sous la conduite notamment de l’architecte Duncan Baker-Brown. En outre, ce dernier a pris part à la School of Re-construction tenue dans le cadre du projet européen FCRBE et est égalament l’auteur de “The Re-Use Atlas: A Designer’s Guide Towards a Circular Economy”.
  • Rural Studio est un programme de conception-réalisation mené par la School of Architecture, Planning and Landscape Architecture of Auburn University (Alabama, États-Unis) dont le but est de sensibiliser ses étudiants au contexte social des projets d’architecture, tout en fournissant des bâtiments à destination des plus précaires. Plus de 200 projets impliquant un bon millier d’étudiants font ainsi la part belle aux matériaux locaux et peu chers dont de nombreux matériaux isssus du réemploi.
  • L’espace d’exposition RAKE (RAKE Visningsrom) à Trondheim (Norvège) est le résultat d’un workshop par et pour des étudiants d’écoles d’art et d’architecture de Trondheim, Oslo et Bergen, datant de 2011. Le pavillon, déplacé en 2014, met en exergue le réemploi des matériaux, à l’image notamment de l’enveloppe extérieure constituée de fenêtres réemployées. Voir à ce sujet un article sur le site ArchDaily.
  • Les architectes norvégiens de TYIN Tegnestue, qui accompagnaient déjà le processus de construction de l’espace d’exposition RAKE, ont pris pour habitude d’impliquer de nombreux étudiants en architecture à leurs projets intégrant des matériaux locaux et issus du réemploi. De nombreux projets ont été réalisés en collaboration avec des communautés locales, en Asie notamment, mais aussi en Europe. Le projet Porto Marghera, réalisé à Venise en 2013 par des étudiants de l’université locale (Iuav) consistait ainsi en un ensemble de structures en bois de réemploi, issu du pavillon canadien de la Biennale d’Architecture de l’année précédente. Des étudiants du Tecnológico de Monterrey, Puebla (Mexique) et de la NTNU, Norges teknisk-naturvitenskapelige universitet (Norvège) ont participé pour leur part à l’élaboration d’un pavillon en bois entièremnt réversible (Lyset paa Lista) à Lista (Norvège) en 2013.
  • L’architecte sévillan Santiago Cirugeda, à travers son bureau d’architecture Recetas Urbanas, promeut l’auto-construction, l’auto-gestion ou encore l’expérimentation dans une logique de participation et d’appropriation citoyenne. L’un de ses thèmes de prédilection est le réemploi des matériaux et de nombreux étudiants ont pris part à ses projets. Ainsi, l’espace Aula Abierta était construit en 2004 à Grenade, à partir de matériaux réemployés, par des étudiants en arts de la Universidad de Granada et sera par la suite démonté puis reconstruit à Séville en 2012. En 2016 était inaugurée l’extension de la Escuela Superior de Diseño de Madrid, réalisée par et pour les étudiants et leurs professeurs. Le projet baptisé La Escuela Crece peut se targuer de faire usage de 85% de matériaux réemployés.
  • Le festival Bellastock crée en France il y a plus de 15 ans par la coopérative d’architecture du même nom, propose chaque année la création d’une ville éphémère expérimentale à l’échelle 1:1 aux étudiants principalement d’écoles d’art ou d’architecture. Les expérimentations concernent notamment le réemploi des matériaux. Le festival s’est exporté à l’étranger, à Madrid, en 2012, 2013 et 2014, porté par le collectif Madstock.
  • En France, dans le cadre du projet pédagogique Pôle 21 et de ses enseignements à l’École Nationale Supérieure d’Architecture (ENSA) Marseille, Jean-Marc Huygen, auteur notamment de “La poubelle et l’architecte – Vers le réemploi des matériaux” mais aussi porteur du projet d’un réseau européen du réemploi lancé en 2009, participe aux expérimentations mettant en oeuvre des matériaux soutenables ou de réemploi. Les étudiants de l’ENSA Marseille et de l’Université Grenoble Alpes (UGA) puis de l’ENSA Grenoble ont ainsi pratiqué le glanage de matériaux et l’auto-construction sur le site de Barjols (Université Populaire de Barjols sur les Arts du Territoire, UBAT), ou plus récemment de Correns et de Eurre (Biovallée). Pour plus d’informations, voir l’ouvrage collectif “Pôle 21 – 2 ans de réemploi à Barjols” ainsi qu’un retour d’expérience publié sur le site de l’UGA. Auparavant, toujours selon la même logique, Jean-Marc Huygen avait en compagnie de nombreux étudiants, de 2010 à 2012, participé aux expérimentations de la Friche la Belle de Mai. Plus d’informations sont à retrouver sur le site matieras.eu.
  • Dans le cadre d’une initiation au réemploi en architecture pour des étudiants architectes et ingénieurs (ENSA Grenoble et UGA), encadrée par l’agence NA architecture, deux prototypes d’abri vélo ont été réalisés et exposés à Grenoble (France).
  • Dans le cadre de ses enseignements à l’ENSA Paris-Belleville et Bretagne, l’architecte français Cyrille Hanappe (AIR Architectures et Actes et Cités) amène ses étudiants à travailler avec les habitants en situation précaire, et en faisant notamment usage du réemploi. Ils ont par exemple participé à la conception d’une cuisine collective pour les habitants d’un bidonville (réemploi de portes et fenêtres), ainsi qu’à celle d’un lavoir et d’une salle communautaire (réemploi de bois de caisses de déménagement, de panneaux signalétiques, de fenêtres).
  • L’Atelier Na, qui mène des expérimentations liées au réemploi, a participé à des universités d’été, des séminaires ou chantiers participatifs et a notamment réalisé deux modules à partir de matériaux de réemploi, en collaboration avec des étudiants de l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) Strasbourg (France).
  • Le collectif d’architectes allemand raumlaborberlin, spécialisé dans les projets participatifs mettant en oeuvre des matériaux considérés comme des déchets a notamment mené un worshop en 2011, auquel ont participé des étudiants venant de toute l’Italie, pour construire la Officina Roma, une villa éphémère constituée entre autres de bouteilles, de portes de voitures et de bidons d’essence. Le projet a été réalisé dans le cadre de l’exposition “Re-Cycle: Strategies for Architecture, City and Planet” proposée par le MAXXI (Museo nazionale delle arti del XXI secolo) de Rome en 2012. En 2018, à Berlin, le collectif a construit avec de nombreux étudiants la Floating University, lieu d’étude et de recherche devenu depuis association. Au sujet de la Officina Roma, voir cet article de Designboom et au sujet de la Floating University, cet autre article ArchDaily.
  • Dans le cadre du German National Garden Show (BUGA) à Heilbronn (Allemagne) en 2019, des étudiants du Karlsruher Institut für Technologie (KIT) ont participé aux côtés de professeurs à la création du Mehr.WERT.Garten (Added.VALUE.Garden) et du Mehr.WERT.Pavilion. Le pavillon et ses alentours étaient composés principalement de matériaux réemployés ou recyclés, tels que le métal de réemploi constitutif de la structure ou le verre dont est fait l’enveloppe.
  • Le workshop Ephemeral Permanence 1:1, réalisé en 2022 dans le cadre de la cinquième International Conference on Structures and Architecture, à Aalborg (Danemark), a vu les étudiants de différentes universités faire l’expérience d’une construction circulaire. Réemploi de matériaux (colonnes métaliques, poutres et panneaux en bois, blocs de béton, briques, tuiles) mais aussi conception d’un petit pavillon entièrement démontable (utilisation d’étaux métalliques et de cordons élastiques pour l’assemblage) étaient au menu de cette expérimentation dont l’encadrement était lui aussi issu de différentes institutions (Aalborg University, ETH Zürich et University of Antwerp). Voir à ce sujet un article sur le site ArchDaily.
  • Nous nous souvenons aussi de la participation des étudiants de la ZHAW (Fachhochschule de Zurich à Winterthur) aux travaux des architectes du Baubüro in situ.

BRIC

Dans le cadre du Programme Régional en Économie Circulaire bruxellois (PREC/Be Circular) et soutenu par le projet européen BAMB (Building as Material Banks, dont nous vous parlions ici), le projet BRIC (Build Reversible In Conception) voit le jour à Bruxelles, sur le site de l’efp (centre de formation dans un système en alternance, notamment des professionnels du bâtiment). Le BRIC est un bâtiment durable, modulaire et évolutif, qui intègre parfaitement les principes de l’économie circulaire et de la réversibilité. Construit par et pour les apprenants de l’efp, il est un outil pédagogique et didactique qui permet d’expérimenter mais aussi de former et de sensibiliser les futurs professionnels du bâtiment aux pratiques circulaires. Et à ce titre, le réemploi des matériaux de construction est l’un des objectifs majeurs du projet. Il est à noter qu’au-delà du réemploi des matériaux et de l’intégration des principes de réversibilité, c’est aussi à travers l’approvisionnement local en matériaux durables, l’autonomie énergétique, la gestion de l’eau pluviale et la récupération des eaux grises que le BRIC garantit de hautes performances environnementales!

Concrètement, le projet est constitué de trois bâtiments successifs, BRIC 1, BRIC 2 et BRIC 3, construits principalement avec les matériaux issus du bâtiment précédent. Chaque pavillon a un aspect, une volumétrie et une affectation qui lui est propre. Le cycle de constructions, déconstructions et reconstructions s’est étalé sur 4 ans et le BRIC 3, un studio radio, a été innauguré en juin 2021. Si certains des matériaux du BRIC 1 étaient déjà des matériaux issus du réemploi (tôles métalliques, plancher, bardage et menuiseries), c’est surtout grâce à une conception réversible qu’une véritable stratégie de réemploi à pu être mise en place. À la suite de la première déconstruction, un inventaire a ainsi été effectué et les architectes du bureau Karbon’ (Karbon’ architecture et urbanisme) ont pu travailler à la conception du BRIC 2 en intégrant les matériaux démontés. Dans une même logique, les architectes réaliseront une extension du bâtiment pour le transformr en BRIC 3. Au total, ce sont des centaines d’étudiants issus de 11 filières qui ont pu se former par la pratique lors de la construction des différents pavillons.

Installée sur une plateforme montée sur pieux amovibles, l’ossature constructive du BRIC est constituée d’une série de colonnes ainsi que de caissons en bois pouvant s’imbriquer dans diverses configuations. Les assemblages sont mécaniques, et l’emplacement des vis est marqué pour faciliter le démontage. La tôle a successivement été utilisée en toiture et en bardage et les panneaux en bois qui initialement constituaient une partie du bardage ont été pour leur part réemployés sous forme de bardeaux puis d’écailles, par recoupages successifs. Si les enduits à base d’argile sont réutilisables relativement facilement, les apprenants ont pu constater en revanche que le bois massif convient davantage aux cycles successifs de réemploi que des panneaux OSB. Ils ont pu également constater que l’isolation par cellulose, rapide lors de sa mise en place, nécessite une aspiration plus complexe lors de la déconstruction ainsi que la perforation des caissons en plusieurs endroits. La fibre de bois en panneaux semble fournir une plus grande flexibilité.


Plusieurs publications et retours d’expérience sur les différentes étapes du projet BRIC sont à consulter sur la page web du projet BAMB. Une vidéo en français à voir sur le site Archi Urbain présente quant à elle la dernière version du projet, BRIC 3.

Par ailleurs, un autre projet, lui aussi bruxellois, fait également la part belle au réemploi et à la formation des futurs acteurs de la construction: dans le cadre d’un concours organisé par le CDR Construction, des étudiants en construction de Bruxelles ont participé au chantier pédagogique d’un bâtiment modulable, démontable et transportable, MØDÜLL (2015) puis MØDÜLL 2.0 (2017). Plus d’informations sur le Guide Bâtiment Durable.

BAMB

Le projet européen de recherche et d’innovation (Horizon 2020) BAMB (Buildings As Material Banks) a regroupé 15 partenaires issus de 7 pays dans le but d’instaurer une logique circulaire dans le secteur de la construction. Pendant 4 années, de 2015 à 2019, l’objectif de ces partenaires était de rendre leur véritable valeur aux matériaux de construction afin d’éviter qu’ils ne finissent comme déchets. Deux outils ont été principalement utilisés: le passeport matériaux (Materials Passport) et la conception de bâtiments réversibles (Reversible Building Design). Ceux-ci s’accompagnaient de directives, recommandations politiques et nouveaux modèles économiques circulaires. 6 projets pilotes ont permis de tester cette nouvelle stratégie et plusieurs publications pouvant être consultées sur le site web du projet BAMB sont un intéressant retour d’expérience.

La conception de bâtiments réversibles, facilitant leur rénovation, transformation intérieure ou extérieure et le réemploi de leurs composants, a notamment été testée en Belgique (Circular Retrofit Lab et Build Reversible In Conception), en Bosnie-Herzégovine (Green Design Centre) et aux Pays-Bas (Green Transformable Building Lab). Des scénarios de déconstruction, transformation et reconstruction ont ainsi été envisagés ou mis en pratique en situation réelle ou via des modules expérimentaux, le tout faisant la part belle au réemploi! Ces projets comprenaient également une dimension éducative puisque le Green Designe Centre avait pour objectif de devenir un centre d’information public. Le BRIC (Build Reversible In Conception) était quant à lui fabriqué par et pour les apprenants d’un centre de formation professionnelle (efp) alors que le Circular Retrofit Lab servira de laboratoire aux étudiants de la Vrije Universiteit Brussel (VUB).

Une autre conception réversible a été testée à travers l’élaboration de la structure démontable et adaptable d’une exposition itinérante (Reversible Experience Modules). Celle-ci présentait une série de produits et systèmes constructifs pensés en vue d’un futur potentiel réemploi. Chaque matériau s’accompagnait d’un passeport virtuel, sorte de guide sur la façon de les désassembler et d’éviter leur gaspillage. Le passeport matériaux a été par ailleurs testé en situation réelle en Allemagne (New Office Building). Celui-ci prenait bien sûr en compte le potentiel de réemploi de ces matériaux!

Ferme du Rail

La Ferme du Rail, inaugurée à Paris (XIXe) en 2019, est un équipement de quartier autour de l’agriculture urbaine. Situé sur un terrain difficile d’accès, le long d’une voie de chemin de fer désaffectée, il se veut un espace de production agricole mais aussi un lieu de solidarité, d’hébergement, de formation, de restauration et de rencontre. Les deux bâtiments de la ferme regroupent en effet autour d’un potager central une cantine-restaurant, un hangar et une serre, auxquels s’ajoutent vingt logements destinés à des travailleurs en insertion et à des étudiants ingénieurs, architectes ou en horticulture. Cette ferme low-tech, à la conception bioclimatique, aux matériaux biosourcés ou de réemploi, tournée vers la permaculture et à finalité sociale est née de l’appel à projets urbains innovants Réinventer Paris, lancé en 2014.

À l’origine du projet, on retrouve la coopérative d’architecture Grand Huit qui inscrit son action dans le champ de l’économie circulaire mais aussi sociale et solidaire, ainsi que la paysagiste Mélanie Drevet. Ces habitants et usagers du quartier s’entourent d’une série d’acteurs qui deviendront les futurs exploitants du lieu, tels que l’entreprise d’insertion Travail et Vie, les associations Atoll 75 et Bail Pour Tous, mais aussi la foncière sociale Réhabail qui prendra en charge la maîtrise d’ouvrage. Celle-ci se fera dans un contexte particulier puisque la Ville de Paris reste propriétaire de la parcelle, cédée dans le cadre d’un bail à construction de 50 ans. L’accès au sol facilité par les pouvoirs publics se complète d’une mosaïque de financements publics et privés. Ceci permet d’envisager un programme ambicieux tant sur le plan écologique que social. Et le réemploi des matériaux, en répondant à ces deux impératifs, allait devenir un élément important dans l’esprit des concepteurs, pour qui “réemployer les matériaux et travailler avec des personnes en insertion relève (…) de la même logique. Ne plus jeter et ne plus exclure.”¹

Faire avec “le déjà là”, avec “ce qui reste” devient pour les membres de Gran Huit l’un des aspectes d’une nouvelle façon de travailler. Pour eux, le réemploi, la “valorisation des délaissés”, a bien sûr une dimension pratique mais découle avant tout d’une posture morale et politique: “le réemploi n’est pas d’abord l’exploitation de nouveaux «gisements», mais la revendication d’un soin inédit à l’égard de la matière et des personnes”¹. Au-delà des impératifs environnementaux, c’est un moyen pour les architectes de “préserver un accès au travail pour tous, signifiant et non oppressif”¹ car faire le choix d’un réemploi local est aussi pour eux une manière de réintroduire la fonction ouvrière et artisanale au centre de la ville.

D’autre part, ils insistent sur la dimension mémorielle du réemploi. Car si parmi les freins au réemploi, le plus important semble peut-être idéologique, il convient d’“éduquer les regards à percevoir la beauté de ces délaissés redevenus désirables”¹. Redonner leur véritable place aux matériaux et à ceux qui les travaillent, et donc au processus, les amène ainsi à rendre sa véritable valeur au moment du chantier. Il s’agit donc d’y associer très tôt les futurs usagers, dans l’esprit des permancences architecturales, mais aussi en faisant démarer certaines activités du site avant même son aménagement définitif. Il s’agit également de faire du chantier un espace démocratique de création, à l’environnement favorable à la formation. Plusieurs entreprises d’insertion seront d’ailleurs présentes sur le chantier de la ferme: 5 lots sur les 16 lots techniques leur ont été confiés. Voici donc une nouvelle façon de tenter de rendre à l’architecture sa dimension sociale, à l’opposé d’une architecture-objet. Mais si une ACV a été réalisée qui peut donner une idée des bienfaits à mettre à l’actif du bâtiment, à très faible impact environnemental (ossature bois, isolation en paille, vêture en bois de châtaginier, utilisation de matériaux biosourcés et de réemploi), elle ne tient néanmoins pas compte de l’aspect social du projet. Les architectes plaident donc pour de nouveaux indicateurs de richesse et une approche du “coût global” de chaque projet qui intégrerait cet aspect.

Suit ici une liste de matériaux réemployés sur le site du projet:

  • fenêtres en bois provenant de logements sociaux ayant été rénovés, transformées en jardinières de toiture faisant office de garde-corps (bois sablé, déligné et réassemblé en panneaux) ou en parquet en bois de bout pour la salle commune (même stock de bois, cette fois débité), le tout réalisé par l’Atelier R-are;
  • contreplaqué issu de la Fashion Week et destiné à la fabrication d’armoires pour les chambres;
  • pierres de voirie issues du stock de la Ville de Paris et utilisées pour l’aménagement du jardin (murs de soutènement en pierre sèche, emmarchements, dallage);
  • bâches publicitaires provenant de la Réserve des Arts transformées en stores par Les Résilientes;
  • carreaux de faïence dépareillés issus de fin de stock et destinés aux salles de bain (l’identité propre de chacune des salles nécessite un calepinage à chaque fois différent).

La découverte du réemploi et de son adéquation avec une démarche écologique et sociale a amené les architectes à développer cette pratique. Ainsi, le projet de la Maison des Canaux, à Paris (XIXe), dont le chantier est en cours et qui se veut un lieu de référence de l’économie circulaire, sociale et solidaire, a pour mission de devenir un démonstrateur du réemploi. Projet pilote mené dans le cadre du projet européen FCRBE, dont nous vous parlions déjà ici, il a pour objectif d’intégrer de 70 à 100% de matériaux issus d’un réemploi local!


¹ Le présent article s’inspire en grande partie du livre “La Ferme du Rail – Pour une ville écologique et solidaire” écrit par Clara et Philippe Simay, membres de la coopérative Grand Huit, et publié en 2022 aux éditions Actes Sud, dans la collection “Domaines du possible”. Toutes les citations reprises dans l’article en sont d’ailleurs extraites ainsi que certains termes spécifiques au projet.

Pour ce qui a trait plus spécifiquement au réemploi, une présentation de Clara Simay, effectuée dans le cadre de l’ICEB Café du 19 septembre 2019, est disponible sur le site de l’ICEB (Institut pour la Conception Écoresponsable du Bâti).

#DEF – DfD

Le sigle DfD se rapporte en anglais à Design for Deconstruction ou Design for Disassembly. En 2020, la Commission Européenne proposait dans l’une de ses publications (Circular Economy – Principles for Building Design) la définition suivante du Design for Deconstruction: “Approach to the design of a product or structure that facilitates deconstruction at the end of its useful life, in such a way that components and parts can be reused, recycled or recovered for further economic use or, in some other way, diverted from the waste stream”. Il s’agit donc de la prise en compte dès la phase de conception de la future déconstruction, partielle ou totale, d’un bâtiment. Et ceci de façon à simplifier le réemploi ou le recyclage de ses composants et matériaux, en diminuant par là même la production de déchets et la consommation de matières premières. Cette approche tend donc à rendre la déconstruction plus avantageuse que la démolition.

Toutefois, la réflexion sur la fin de vie des bâtiments et de leurs composants ne doit pas occulter l’effet pervers que pourrait provoquer la vision de constructions à la durée de vie limitée. Il convient d’onc d’agir également sur l’allongement de leur durée de vie et de celle des éléments qui les composent. Le processus de création d’un bâtiment prenant en compte la déconstruction ou le démontage a ainsi étendu son champ d’action à l’adaptabilité, notamment via le concept de DfD/A ou de Design for Disassembly and Adaptability. L’entretien, la rénovation ou la transformation d’un bâtiment mais aussi la réparation ou le remplacement de ses composants sont cette fois pris en compte, et plus seulement son désassemblage. Favoriser l’allongement de la durée de vie des constructions en permettant par exemple d’en remplacer les matériaux ou prévoir leur déconstruction sont des concepts qui mettent quoi qu’il arrive le réemploi à l’honneur! Par ailleurs, d’autres stratégies circulaires se rapprochent de ces concepts comme le design for longevity and durability, le design for change (DfC) ou la conception réversible (reversible building design). Notons enfin que la plupart des notions ici évoqués peuvent bien sûr s’étendre à d’autres domaines que celui de la construction.

Le choix des matériaux et des techniques constructives est au coeur du processus de design for deconstruction et de conception réversible. Les matériaux doivent en effet être suffiament résistants et leur assemblage doit permettre un démontage rapide et économique, en évitant notamment l’utilisation d’équipements lourds. Les connexions seront ainsi accessibles et amovibles et les fixations mécaniques privilégiées. Les assemblages boulonnés, vissés ou cloués seront par exemple préférés aux assemblages chimiques non amovibles comme le sont la plupart des liants, scellants, colles ou soudures. À tout cela doit bien sûr s’ajouter une bonne transmission des informations sur ces techniques et matériaux.


De nombreux travaux sur le sujet sont issus du monde anglo-saxon. La EPA (United States Environmental Protection Agency) a notamment publié un document sur le Design for Deconstruction ainsi qu’une série d’informations sur différents projets pilotes. De son côté, le Hamer
Center for Community Design (The Pennsylvania State University) a rédigé un guide consacré au Design for Disassembly. En Europe, outre la publication de la Commission Européenne, le projet européen BAMB propose également un protocole de conception réversible (Reversible Building Design). Au sujet de la conception réversible, voir aussi, en français, le site belge du Guide Bâtiment Durable. Un article sur le DfD est par ailleurs disponibles sur le site Archdaily.

Stars of reuse

Le prix Pritzker d’architecture vient d’être décerné à Diébédo Francis Kéré (Burkina Faso). Ce choix semble confirmer la tendance d’un prix qui délaisse quelque peu les paillettes pour s’intéresser davantage au processus de création respectueux de l’environnement et des sociétés. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si de nombreux récents lauréats du prix Pritzker le sont aussi du Global Award for Sustainable Design. Au coeur de ces préoccupations, le réemploi apparaît dès lors dans de nombreux projets. Ainsi, l’approche de Diébédo Francis Kéré est collaborative, revisite des modes de construction traditionnels et s’intérresse aux ressources locales telles que la terre ou le bois, mais aussi aux matériaux issus du réemploi. La simplicité constructive et le choix des matériaux permet notamment une réappropriation des techniques par les habitants dans une logique d’auto-construction et contribue à l’essor d’une véritable économie locale. L’éducation semble également particulièrement important aux yeux de l’architecte qui construira de nombreuses écoles, à commencer par l’école primaire de Gando (2001, Burkina Faso), son village natal. Dans un projet similaire, le lycée Schorge (2016, Burkina Faso), la structure du toit du bâtiment ainsi que des panneaux de coffrage fournissent par exemple le métal et le bois dont sont fabriquées les chaises utilisées par les lycéens. Les chutes de chantier deviennent dès lors de nouvelles ressources, locales et peu coûteuses!

D’autres lauréats du prix Pritzker font également usage du réemploi. Le cas le plus connu est sans doutes celui de Wang Shu (Chine), qui avec Lu Wenyu au sein de Amateur Architecture Studio, est l’auteur du Musée d’histoire de Ningbo (2008, Chine). Les façades du musée sont en effet ornées aléatoirement des matériaux récupérés lors des démolitions de la ville ancienne. Le procédé sera répété par la suite, mettant en évidence la destruction de tout un pan de l’habitat traditionnel chinois. Lors de la 10e Biennale d’Architecture de Venise, en 2006, l’architecte installe d’ailleurs son Tiled Garden, constitué de 66000 tuiles récupérées de batiments détruits dans la région de Hangzhou (au sujet du travail de Wang Shu, voir deux articles du site Archdaily ici ou ici). Si les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal (France), souvent accompagnés de Frédéric Druot, à travers leurs projets de transformation d’immeubles de logement, nous montrent qu’une démolition est loin d’être toujours la meilleure solution, Alejandro Aravena (Chili) du bureau Elemental, crée quant à lui des ensembles de logements favorisant l’auto-construction et des pratiques liées au réemploi. Les bâtiments conçus en open-design (les plans sont accessibles librement sur le site de l’agence) sont un cadre facilitant l’appropriation par les habitants, la transformation et l’ensemblage de divers matériaux. Il mettra lui-même en pratique le réemploi lors de la 15e Biennale d’Architecture de Venise de 2016, où plus de 90t de matériaux seront récupérés (nous vous en parlions ici). L’architecte Balkrishna Doshi (Inde) contribue lui aussi à la construction de logements sociaux mais c’est son propre bureau, le Studio Sangath, qu’il construira à l’aide de matériaux réemployés, dont de nombreux carreaux de céramique, issus d’autres chantiers de construction. (voir à ce sujet un article du site Archdaily). Shigeru Ban (Japon) enfin, s’est spécialisé dans des architectures démontables, transportables, et donc réemployables. Ses structures en bois ou en carton sont utilisées dans des domaines parfois très divers, qu’il s’agisse des logements temporaires qui lui valurent le surnom d’architecte de l’urgence (voir à ce sujet un article du site Archdaily), d’une église ou d’une salle de concert, eux aussi éphémères, d’un immeuble de bureaux ou d’un musée nomade. Ce sont par ailleurs des briques issues des décombres du tremblement de terre survenu au Népal en 2015, que l’architecte incorporera à la structure en bois des nouvelles constructions (voir à ce sujet un article du site Designboom).

La pratique du réemploi ne se limite bien sûr pas qu’aux seuls lauréats de prix architecturaux. Pour certains d’entre eux, le réemploi ne constitue d’ailleurs qu’un geste architectural ponctuel au contraire de nombre d’architectes ou de constructeurs plus anonymes. Les prix ont néanmoins l’avantage de rendre visible et de légitimer une démarche encore trop largement ignorée. D’autres “stars” de la discipline, non récipiandaires du Pritzker, participent d’ailleurs à cette visibilisation. Ainsi, ce sont par exemple de vieilles tuiles issues de constructions locales que Kengo Kuma (Japon) utilise tant en façade qu’en toiture du China Academy of Art’s Folk Art Museum (2015, Chine). À plus petite échelle, ce sont les matériaux issus d’une ancienne construction qui sont réemployés in situ, en façade du Murai Masanari Art Museum (2003, Japon). Les architectes du bureau Mecanoo (Pays-Bas) créent pour leur part un patchwork de vieilles pierres et de briques pour former la façade principale du Netherlands Open Air Museum (2000, Pays-Bas). Dans le même esprit, ils utilisent d’anciennes palplanches issues de batardeaux et récupérées dans un canal, pour créer la facade du musée Kaap Skil (2011, Pays-Bas). C’est le réemploi traditionnel de bois flotté par les habitants de la région qui est ainsi célébré (voir à ce sujet un article sur le site Opalis). Les architectes du bureau MVRDV (Pays-Bas toujours) s’intéressent quant à eux au réemploi lors de la création du pavillon néerlandais de la Bogotá Book Fair (2016, Colombie). Le système modulaire mis en place combine des éléments démontables et recombinables qui seront réemployés comme bibliothèques dans différents quartiers de la ville. Enfin, le projet pilote ZEB Pilot House (2014, Norvège) des architectes de Snøhetta (Norvège), se veut une expériementation en vue de réaliser un bâtiment “zéro émissions”. La construction, par ailleurs autosufisante en énergie, est constituée de nombreux matériaux issus du réemploi!

Un nouveau musée

La construction du nouveau Musée de folklore de la ville de Mouscron (Belgique) par les architectes du bureau V+ a donné lieu à un réemploi bien particulier de briques anciennes. Dans le cadre d’un décret visant l’intégration d’œuvres d’art dans les bâtiments publics, l’artiste français Simon Boudvin a fait en effet la proposition suivante : « introduire des briques anciennes dans les murs du nouveau Musée, en documenter leurs sites d’origine ».

La construction du Musée intervient de manière un peu paradoxale au moment où plusieurs bâtiments témoins de l’histoire de la ville sont sur le point de disparaître. Ils deviendront néanmoins source de matériaux : « une usine, un entrepôt, des maisons ouvrières, un cinéma, un couvent, une maison bourgeoise, un café, une ferme ont approvisionné de leurs briques les façades du Musée ». Les briques se transforment ainsi en objets de musée tout en conservant leur usage. Si le Musée s’intègre à la trame de la ville, briques anciennes et nouvelles se mélangent quant à elles suivant l’appareil. La proportion de briques réemployées est de 25%. Elle est du fait du bureau d’études : le mélange avec des briques neuves limite en effet l’impact du réemploi sur les tests et calculs de stabilité. Seront réemployées dans le projet 28500 briques, ce qui correspond à environ 34 m³ (source Opalis).

Le Musée est divisé en différents volumes séparés par des joints de dilatation. Chacun de ces volumes, par sa taille, les briques de réemploi qu’hébergent ses murs ou les objets qu’il expose fait référence à une activité bien particulière et donc à un bâtiment bien particulier. De discrets numéros présents en façade déterminent la provenance des briques réemployées. Si la dimension culturelle de ce réemploi semble donc importante, celui-ci ne cherche pourtant pas à devenir militant ou ostentatoire. Une couche de badigeon blanc recouvre l’ensemble des murs et les briques de réemploi ne se distinguent que par certaines aspérités.

La collecte des briques et leur intégration aux murs du Musée s’accompagnent d’un travail de documentation qui a mené Simon Boudvin à la publication d’un livre. Celui-ci décrit l’ensemble de l’opération, le nouveau Musée ainsi que les bâtiments dont sont issues les briques. Les citations ainsi que le titre de l’article sont empruntés à ce livre : Simon Boudvin, UN NOUVEAU MUSÉE, Accattone et MER. Paper Kunsthalle, 2018.