Codex Theodosianus

Si le réemploi des matériaux de construction était courant sous l’Empire romain (voir l’article ici), il était également institutionnalisé. On retrouve en effet des textes de loi préconisant de telles pratiques. Le Codex Theodosianus, ensemble regroupant des lois du IVe et du Ve siècles promulgué en 438 par l’empereur romain Théodose II, stipule dans la partie De operibus publicis que les bâtiments publics doivent être protégés, encourage leur restauration et dans le cas où la démolition est inévitable, préconise leur déconstruction afin que les composants puissent être réemployés et va même jusqu’à lier l’obtention d’une autorisation de démolition à ce réemploi. Les principales motivations des textes de loi semblent d’ordre idéologique et esthétique dans un contexte de fin d’Empire. Est présente ici la préoccupation, toujours d’actualité, de la préservation comme préalable au réemploi. Une autre préoccupation également évoquée est celle d’une forme de réemploi local.


Les informations présentées proviennent de cet article : Spolia in Roman Cities of the Late Empire : Legislative Rationales and Architectural Reuse, Joseph Alchermes (Dumbarton Oakes Papers, Trustees for Harvard University, Vol. 48, 1994).

La Fabrique du clos

À Stains, en Ile-de-France, la démolition de tours d’immeuble et de leurs voiles de béton datant de 1959, a donné lieu depuis cinq ans à la réutilisation in situ de cette matière aux impacts environnementaux majeurs. Le projet est mené par Seine Saint Denis Habitat et les architectes de Bellastock, accompagnés notamment par le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment).

La démarche, aux objectifs à la fois environnementaux, sociaux et culturels a abouti à la création de prototypes comme un sol scellé en dalle de béton, de la maçonnerie paysagère en pierre de béton pouvant servir de banc ou de jardinière et d’un local technique en murs de béton. Cette démarche a également mené à un plan d’aménagement d’espaces publics, à la mise en place d’une recyclerie, mais aussi à des programmes de sensibilisation, de formation et de création, en partant de l’échelle du quartier.

Une étude menée sur 60m2 de pavage en béton réemployé a déterminé un taux de réemploi du gisement destiné au pavage de 86%. L’étude met également en évidence, un délai supplémentaire de seulement 4 jours de chantier consacrés au réemploi et un coût au m2 de 25,2€ (soit 10 euros de moins qu’un pavage neuf estimé à 35,2euros). L’importance du travail in situ et du caractère expérimental sont ici à souligner.

Concrete jungle

Peerless Portland Cement Factory 1906 – Unknown photographer – Collection of Marty and Ron Chard (Public domain)

Il a été l’un des éléments clés du développement moderne. Mais s’il a permis la construction de quantités remarquables de logements, œuvres architecturales et infrastructures, le béton n’en a pas moins des aspects négatifs.

Substance la plus utilisée dans le monde après l’eau, le béton représente en effet un problème environnemental majeur. Conjointement à l’eau, au sable et à divers agrégats, le ciment Portland (composé à plus de 75% de clinker nécessitant de très hautes températures pour décomposer la matière première rocheuse qui le constitue) est utilisé dans plus de 98% des bétons produits actuellement. On considère le clinker comme responsable de jusqu’à 8% des émissions de CO2 dans le monde !

Impact important sur la biodiversité, forte consommation d’eau et de sable, pollution atmosphérique, quantités astronomiques de déchets, criminalité et corruption font également partie du côté obscur du béton.

La forte dépendance de nos sociétés au béton ne facilite pas les démarches alternatives, et à plus forte raison dans un monde où la croissance démographique, économique et urbanistique tend à une augmentation de la demande. Pourtant, les défis importants auxquels nous confronte l’utilisation du béton devraient nous encourager à modifier nos habitudes de construction, les matériaux ou les techniques privilégiées… Innover mais aussi préserver les bâtiments existants, d’avantage recycler et réemployer doit donc (re)devenir une priorité ! 

Voir à ce sujet, un projet intéressant mené par Bellastock avec l’appui du CSTB.


Ce texte est basé sur cet article : Concrete, the most destructive material on Earth (The Guardian)

Podcast à écouter ici : Cities (The Guardian)

D’avantage d’informations également dans ce rapport :  Chatham House (The Royal Institue for International Affairs) – Making Concrete Change

REBRICK

San Francisco Earthquake of 1906, Cleaning bricks – George Williford Boyce Haley – National Archive at College Park (Public Domain)

Le projet européen REBRICK (Market uptake of an automated technology for reusing old bricks) mené entre 2011 et 2013, avait pour but de développer le réemploi de vieilles briques en terre cuite. L’entreprise danoise Gamle Mursten avait en effet mis au point un système mécanique automatisé permettant de débarrasser ces briques de leurs résidus de béton et ciment. Le projet, co-financé par l’Union Européenne à travers son programme d’Éco-Innovation, devait permettre d’étendre ce principe en Europe, en l’adaptant notamment aux diverses spécificités régionales. Les gains environnementaux d’un tel réemploi étaient estimés à 0.5kg de CO2 par brique réemployée !


Information complémentaire sur le projet :

REBRICK European Commission

Rediviva Saxa

Le réemploi d’éléments de construction est loin d’être une pratique récente. Depuis l’Antiquité, celle-ci était même couramment pratiquée : pour des raisons économiques ou militaires comme par exemple dans le cas de la construction de murailles défensives, mais aussi pour des raisons idéologiques et culturelles qui ne sont pas sans rappeler certaines de nos pratiques patrimoniales.

Ce réemploi de matériaux (notamment de certains matériaux nobles ou décoratifs) était fréquent à Rome lors de la fin de l’Empire et on allait jusqu’à lui destiner des lieux de stockage spécifiques. L’Arc de Constantin (315) est un bon exemple d’intensification du réemploi d’éléments décoratifs. Si cette pratique a souvent été associée au terme quelque peu négatif de spolia (du latin spolium), cela n’a été le cas que plus récemment. Les Romains lui préféraient en effet l’expression rediviva saxa, pierres ayant une nouvelle vie.

A travers cette vision historique du réemploi, il s’agit désormais de rendre à cette pratique l’aspect habituel, qu’elle n’aurait jamais dû perdre !


Voir les publications sur le sujet

Joseph Alchermes : Spolia in Roman Cities of the Late Empire : Legislative Rationales and Architectural Reuse (Dumbarton Oakes Papers, Trustees for Harvard University, Vol. 48, 1994).

Sur le cas spécifique de la Catalogne, une publication en espagnol de J. Á. Domingo : La reutilización de material decorativo clásico durante la Tardoantigüedad y el Altomedioevo en Cataluña (Buttleti Arqueològic, Vol. 32, 2009).

Circular economy and employment

Privilégier une économie circulaire semble important du point de vue environnemental, mais quel en serait l’impact en matière d’emploi ? S’il est difficile de fournir des chiffres précis, et a priori lorsque l’on s’intéresse à une pratique particulière qui est celle du réemploi de matériaux de construction, tout semble indiquer néanmoins un fort potentiel de création d’emplois.

En 2015 au Royaume-Uni, le WRAP (The Waste & Ressources Action Programme) publie un rapport mettant en évidence la création d’emplois liée à l’économie circulaire. En Europe, plus de 3,4 millions de personnes y sont présentées comme actives dans ce domaine et un développement de l’économie circulaire pourrait contribuer en 2030 à la création de 1,2 à 3 millions d’emplois bruts ainsi qu’à une diminution de 250 000 à 520 000 du nombre de personnes au chômage (ces chiffres représentent donc les emplois nets créés).

Un développement semblable à celui que l’on connaît actuellement aboutirait ainsi en 2030 à la création de 135 000 emplois bruts en France, 81 000 en Espagne et 19 000 en Belgique. De nouvelles mesures pourraient fortement augmenter ces chiffres.

Une étude de 2015 sur les bénéfices de l’économie circulaire réalisée par le Club de Rome, sur base de données datant de 2009, et combinant différents scénarios d’action (sur les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’utilisation de matières recyclées ou l’allongement de durée de vie des biens) estimait pour 2030, dans le meilleur des cas, une création nette de plus de 500 000 emplois en France et de plus de 400 000 emplois en Espagne ! 

Paris Agreement and European Green Deal

Schéma de présentation du pacte vert – 11 December 2019 – European Commission (Source)

L’Accord de Paris sur le climat adopté en 2015 lors de la COP21, prévoyait de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre afin de maintenir le réchauffement climatique sous les 2°C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici à 2100. Au-delà de son aspect peu contraignant, que représente un tel accord pour le secteur de la construction et pour le réemploi en particulier ?

Les objectifs définis et les mesures concrètes mises en place par les différents signataires varient d’un pays à l’autre. Le Pacte Vert pour l’Europe présenté en décembre 2019 s’inscrit dans la lignée de l’Accord de Paris et prévoit une création d’emplois et la neutralité carbone en Europe pour 2050. Il inclut notamment une vague de rénovations et un plan d’action pour l’économie circulaire, ainsi que des mesures ciblant spécifiquement certains secteurs comme celui de la construction et l’idée d’un « passeport électronique » des produits fournissant entre autres des informations sur leur origine, leurs possibilités de réparation ou de démontage…

« La transition est l’occasion de promouvoir une activité économique durable et créatrice d’emplois. »

« (…) un nouveau plan d’action en faveur de l’économie circulaire aidera à moderniser l’économie de l’UE et à tirer parti des possibilités offertes par l’économie circulaire au niveau européen et mondial. »

« La priorité sera accordée à la réduction et à la réutilisation des matériaux avant leur recyclage. »

Extraits de la communication de la Commission Européenne sur le Pacte Vert pour l’Europe.

#DEF – réemploi = reutilización

La France fait une distinction dans les textes de loi entre le réemploi et la réutilisation. Voici les définitions présentes dans l’article L541-1-1 du Code de l’environnement français :

Réemploi : « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ».

Réutilisation : « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau ».

Voir également à ce sujet la publication de l’Agence pour la transition écologique ADEME.

Dans la catégorie faux amis, la réutilisation française n’est toutefois pas à confondre avec la reutilización espagnole qui correspond bien à la définition par l’Europe et par la France du réemploi !

#DEF – re-use / recycling

Voici quelques définitions extraites de la directive européenne relative à la gestion des déchets (Article 3 de la directive 2008/98/CE) :

Réemploi : « toute opération par laquelle des produits ou des composants qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus »

Recyclage : « toute opération de valorisation par laquelle les déchets sont retraités en produits, matières ou substances aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins »

On voit avec ces définitions que le réemploi n’implique pas de modification fondamentale de forme ou de fonction, contrairement au recyclage qui nécessite dans bien des cas un retour à la matière première !

Waste management hierarchy

Waste management hierarchy – based on this image

L’article 4 de la directive européenne nº 2008/98/CE relative aux déchets et datant du 19 novembre 2008 met en évidence une hiérarchie dans le traitement de ces déchets qui se traduit comme suit : a) prévention ; b) préparation en vue du réemploi ; c) recyclage ; d) autre valorisation, notamment valorisation énergétique ; et e) élimination.

Ce principe a été transposé dans la législation de différents pays membres. Le droit français les intègre dans le Code de l’environnement – Article L541-1 (Voir également à ce sujet un article publié par l’Agence de la transition écologique ADEME). Les efforts importants effectués dans le domaine du recyclage doivent donc s’accompagner d’une prévention préalable pour diminuer le nombre des déchets mais aussi d’une prise en compte de l’importance du réemploi et de la réutilisation !