CHARM

Le projet européen (Interreg North-West Europe) CHARM (Circular Housing Asset Renovation & Management) a pour objectif principal l’optimisation du réemploi des matériaux de construction dans la gestion, la rénovation et la construction de logements sociaux. Le projet tend en effet à s’éloigner de la tendance actuelle qui consiste à améliorer le recyclage des déchets de construction et de démolition (DCD) mais aboutit bien souvent à une forme de sous-recyclage (downcycling). Ce qui est visé ici, c’est donc bien un réemploi optimal des matériaux de construction. Au-delà de la démonstration, le projet CHARM a également pour objectif de favoriser l’adoption de cette approche innovante par ses partenaires ainsi que par l’ensemble du secteur. Ce projet regroupe différents organismes de logement social autour de la TU Delft (Delft University of Technology) ainsi que d’autres acteurs du monde du logement ou de la recherche. Sont annoncées 40 000 tonnes de matériaux qui pourraient être sauvées annuellement du downcycling rien que par les différents organismes partenaires!

Le projet CHARM a des objectifs très proches de ceux d’autres projets européens, FCRBE ou BAMB, avec lesquels il collabore mais se concentre néanmoins sur l’économie circulaire dans le logement social. Des stratégies spécifiques permettant la circulation des matériaux de réemploi sont ainsi mises en place au sein de projets pilotes menés dans 4 pays par les différents organismes de logement social partenaires. L’émission de directives et la mise en place de plateformes d’échange doivent aider au développement de ces stratégies. Celles-ci peuvent s’appliquer à la rénovations ou à la nouvelle construction et concernent du réemploi in-situ ou ex-situ, ainsi que le design et la construction en vue du réemploi.

Ainsi, en Angleterre, ce sont des logements en bois qui seront construits par GreenSquareAccord avec l’objectif de favoriser leur montage, démontage et remontage mais aussi le réemploi de leurs composants. En France, Paris Habitat utilisera pour sa part l’expérience de projets pilotes antérieurs pour mener à bien plusieurs opérations de rénovation (en collaboration notamment avec la Ville de Paris et Backacia) dans le but d’y doubler le volume de réemloi et de développer une plateforme d’échange de matériaux. Afin de les sensibiliser à l’utilisation de matériaux de réemploi, le projet néerlandais de Woonbedrijf visera quant à lui l’implication des futurs locataires et du voisinage dans le processus de création de nouvelles constructions pensées également en vue d’une future déconstruction. En Belgique enfin, Zonnige Kempen (accompagné notamment par Rotor) se chargera entre autres d’une rénovation avec stockage et réemploi sur site ainsi que de la création d’une plateforme d’échange de matériaux et comparera le taux de récupération de matériaux issus de la déconstruction à celui d’un projet similaire mais mené par démolition.


Une description plus détaillée des différents projets pilotes peut être trouvée ici.

Stars of reuse

Le prix Pritzker d’architecture vient d’être décerné à Diébédo Francis Kéré (Burkina Faso). Ce choix semble confirmer la tendance d’un prix qui délaisse quelque peu les paillettes pour s’intéresser davantage au processus de création respectueux de l’environnement et des sociétés. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si de nombreux récents lauréats du prix Pritzker le sont aussi du Global Award for Sustainable Design. Au coeur de ces préoccupations, le réemploi apparaît dès lors dans de nombreux projets. Ainsi, l’approche de Diébédo Francis Kéré est collaborative, revisite des modes de construction traditionnels et s’intérresse aux ressources locales telles que la terre ou le bois, mais aussi aux matériaux issus du réemploi. La simplicité constructive et le choix des matériaux permet notamment une réappropriation des techniques par les habitants dans une logique d’auto-construction et contribue à l’essor d’une véritable économie locale. L’éducation semble également particulièrement important aux yeux de l’architecte qui construira de nombreuses écoles, à commencer par l’école primaire de Gando (2001, Burkina Faso), son village natal. Dans un projet similaire, le lycée Schorge (2016, Burkina Faso), la structure du toit du bâtiment ainsi que des panneaux de coffrage fournissent par exemple le métal et le bois dont sont fabriquées les chaises utilisées par les lycéens. Les chutes de chantier deviennent dès lors de nouvelles ressources, locales et peu coûteuses!

D’autres lauréats du prix Pritzker font également usage du réemploi. Le cas le plus connu est sans doutes celui de Wang Shu (Chine), qui avec Lu Wenyu au sein de Amateur Architecture Studio, est l’auteur du Musée d’histoire de Ningbo (2008, Chine). Les façades du musée sont en effet ornées aléatoirement des matériaux récupérés lors des démolitions de la ville ancienne. Le procédé sera répété par la suite, mettant en évidence la destruction de tout un pan de l’habitat traditionnel chinois. Lors de la 10e Biennale d’Architecture de Venise, en 2006, l’architecte installe d’ailleurs son Tiled Garden, constitué de 66000 tuiles récupérées de batiments détruits dans la région de Hangzhou (au sujet du travail de Wang Shu, voir deux articles du site Archdaily ici ou ici). Si les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal (France), souvent accompagnés de Frédéric Druot, à travers leurs projets de transformation d’immeubles de logement, nous montrent qu’une démolition est loin d’être toujours la meilleure solution, Alejandro Aravena (Chili) du bureau Elemental, crée quant à lui des ensembles de logements favorisant l’auto-construction et des pratiques liées au réemploi. Les bâtiments conçus en open-design (les plans sont accessibles librement sur le site de l’agence) sont un cadre facilitant l’appropriation par les habitants, la transformation et l’ensemblage de divers matériaux. Il mettra lui-même en pratique le réemploi lors de la 15e Biennale d’Architecture de Venise de 2016, où plus de 90t de matériaux seront récupérés (nous vous en parlions ici). L’architecte Balkrishna Doshi (Inde) contribue lui aussi à la construction de logements sociaux mais c’est son propre bureau, le Studio Sangath, qu’il construira à l’aide de matériaux réemployés, dont de nombreux carreaux de céramique, issus d’autres chantiers de construction. (voir à ce sujet un article du site Archdaily). Shigeru Ban (Japon) enfin, s’est spécialisé dans des architectures démontables, transportables, et donc réemployables. Ses structures en bois ou en carton sont utilisées dans des domaines parfois très divers, qu’il s’agisse des logements temporaires qui lui valurent le surnom d’architecte de l’urgence (voir à ce sujet un article du site Archdaily), d’une église ou d’une salle de concert, eux aussi éphémères, d’un immeuble de bureaux ou d’un musée nomade. Ce sont par ailleurs des briques issues des décombres du tremblement de terre survenu au Népal en 2015, que l’architecte incorporera à la structure en bois des nouvelles constructions (voir à ce sujet un article du site Designboom).

La pratique du réemploi ne se limite bien sûr pas qu’aux seuls lauréats de prix architecturaux. Pour certains d’entre eux, le réemploi ne constitue d’ailleurs qu’un geste architectural ponctuel au contraire de nombre d’architectes ou de constructeurs plus anonymes. Les prix ont néanmoins l’avantage de rendre visible et de légitimer une démarche encore trop largement ignorée. D’autres “stars” de la discipline, non récipiandaires du Pritzker, participent d’ailleurs à cette visibilisation. Ainsi, ce sont par exemple de vieilles tuiles issues de constructions locales que Kengo Kuma (Japon) utilise tant en façade qu’en toiture du China Academy of Art’s Folk Art Museum (2015, Chine). À plus petite échelle, ce sont les matériaux issus d’une ancienne construction qui sont réemployés in situ, en façade du Murai Masanari Art Museum (2003, Japon). Les architectes du bureau Mecanoo (Pays-Bas) créent pour leur part un patchwork de vieilles pierres et de briques pour former la façade principale du Netherlands Open Air Museum (2000, Pays-Bas). Dans le même esprit, ils utilisent d’anciennes palplanches issues de batardeaux et récupérées dans un canal, pour créer la facade du musée Kaap Skil (2011, Pays-Bas). C’est le réemploi traditionnel de bois flotté par les habitants de la région qui est ainsi célébré (voir à ce sujet un article sur le site Opalis). Les architectes du bureau MVRDV (Pays-Bas toujours) s’intéressent quant à eux au réemploi lors de la création du pavillon néerlandais de la Bogotá Book Fair (2016, Colombie). Le système modulaire mis en place combine des éléments démontables et recombinables qui seront réemployés comme bibliothèques dans différents quartiers de la ville. Enfin, le projet pilote ZEB Pilot House (2014, Norvège) des architectes de Snøhetta (Norvège), se veut une expériementation en vue de réaliser un bâtiment “zéro émissions”. La construction, par ailleurs autosufisante en énergie, est constituée de nombreux matériaux issus du réemploi!