Le terme urban mining désigne à l’origine le processus de récupération de matières premières issues de déchets. Il concernait ainsi principalement l’extraction de métaux présents dans les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), mais il peut désormais s’appliquer à d’autres secteurs. C’est notamment le cas du secteur de la construction. De plus, bien qu’associé principalement au recyclage, il peut par extension se rapporter également au réemploi. Il n’y a dès lors plus de retour à la matière première et l’urban mining devient un processus d’identification puis de récupération d’éléments à réemployer issus de l’espace construit et principalement des bâtiments de nos villes. Il regroupe des opérations d’inventaire, de déconstruction ou encore de stockage.
Notion importante au sein du concept d’économie circulaire, l’urban mining permet de réduire la consommation de matières premières tout en limitant les émissions liées à leur extraction ainsi que la quantité de déchets que nous produisons. Elle met également en évidence le rôle toujours croissant que jouent les villes en tant que sources de matériaux de réemploi en circuit court.
Dans une logique d’analogie minière, il sera question de gisement pour désigner des éléments potentiellement réemployables, identifiés par certaines caractéristiques propres et regroupés en un ou plusieurs endroits. Suivant une logique légèrement différente, il est parfois aussi question de banque de matériaux. Dans ce cas, les matériaux ne sont en général plus simplement perçus comme des éléments à récupérer et à valoriser mais comme faisant partie d’un processus de construction intégrant le réemploi et qui les caractérise et les identifie clairement dès la conception. C’est par exemple le cas lorsque le système constructif des bâtiments intègre leur future déconstruction.
Autre projet dont sont en charge les architectes suisses du Baubüro in situ, la transformation en ateliers et espaces de travail d’un ancien entrepôt, le Kopfbau 118 sur la Lagerplatzareal à Winterthour en Suisse, est en cours de réalisation. Trois nouveaux étages y sont rajoutés à la structure existante. Les ateliers se distribuent aux différents étages autour d’une cuisine commune, sont pourvus de sanitaires et de loggias et sont accessibles par ascenseur ou via un escalier extérieur. Comme dans le cas de la Lysbüchelareal, les architectes ont appliqué le principe de l’urban mining afin de réaliser cette extension avec des matériaux réemployés ou réutilisés, sans que cela n’affecte le coût global du projet. Ceux-ci représentent 58% du volume en m³ de l’ensemble des matériaux potentiellement réemployables ou réutilisables sur le projet. Cette pratique, lorsqu’on la compare à l’utilisation de matériaux neufs, a contribué à une diminution de 55% des émissions de gaz à effet de serre, soit environ 500 t CO2 équivalent !
Véritable “chasse au trésor”, la recherche de matériaux sur différents chantiers à travers la Suisse ou en suivant de près l’octroi de permis de démolition, a été suivie du stockage des éléments découverts. Ceux-ci étaient également mesurés et inventoriés à l’aide d’un numéro d’identification et d’un passeport de stockage regroupant les informations permettant leur future intégration au projet. Ce travail de documentation s’accompagne de démarches souvent coûteuses dans le but de satisfaire aux normes en vigueur, comme lors de l’ajout de double vitrage aux fenêtres de réemploi. Une certaine souplesse des autorités a par ailleurs facilité l’obtention du permis de construire alors que les caractéristiques de divers éléments, comme la couleur des futures façades, n’étaient pas encore connues.
Pièce maîtresse de ces éléments de réemploi, la structure en acier des nouveaux étages est issue de l’ancien centre de distribution de la Lysbücherareal à Bâle. Sa forme rectangulaire ne correspondait pas au bâtiment trapézoïdal existant à Winterthour mais le problème a été résolu moyennant un porte-à-faux. L’ossature en acier a été bétonnée afin de la faire correspondre aux normes incendies mais les connexions des différents éléments métalliques n’ont quant à elles été enduites que de mortier afin de faciliter leur démontage et un éventuel futur réemploi. D’autres pratiques durables accompagnant le réemploi sont également observées dans le projet : le recyclage (des murs en béton recyclé adaptés aux normes sismiques par exemple) ou des techniques traditionnelles d’utilisation de matériaux naturels. Si l’enveloppe extérieure du bâtiment est en bonne partie constituée de fenêtres et de tôles métalliques de réemploi, une structure secondaire en bois encadrant les fenêtres est ainsi isolée avec de la paille puis recouverte de terre.
K 118 (facade mock-up), in progress, Winterthur (Swiss) – Stiftung Abendrot (Project owner) – Baubüro in situ (Design) – photography by Martin Zeller (courtesy of Baubüro in situ)
K 118, in progress, Winterthur (Swiss) – Stiftung Abendrot (Project owner) – Baubüro in situ (Design) – photography by Martin Zeller (courtesy of Baubüro in situ)
Le projet de Baubüro in situ a également été l’occasion d’une collaboration avec une vingtaine d’étudiants de la Haute École Spécialisée de Winterthour (ZHAW). Ils avaient, avec une série de matériaux de réemploi, à imaginer un projet pour le futur K 118 et ont pu prendre part au processus d’urban mining. Leur travail, ainsi que celui de Baubüro in situ, a contribué à l’exposition “Transform” en 2018 au Musée Suisse d’Architecture à Bâle (S AM), présentée par la suite sous le titre “Bauteilrecycling” au département d’architecture de la ZHAW en 2019. Elle mettait notamment en avant cette démarche d’urban mining pratiquée par les architectes, en exposant une série de matériaux de réemploi ainsi qu’un mock-up de la future façade du bâtiment.
Suit ici une liste de matériaux de réemploi utilisés dans le projet:
Structure métallique en acier de plusieurs étages provenant d’un ancien centre de distribution (Bâle) et âgée d’une quinzaine d’années;
Stores, lucarnes et fenêtres (Winterthur et Zurich);
Tôles métalliques rouges en aluminium utilisées en façade et provenant d’une ancienne imprimerie (Winterthur);
Escalier extérieur en acier provenant d’un ancien immeuble de bureaux (Zurich) et balustrades d’escalier;
Dalles de parement en granit provenant d’un immeuble de bureaux (Zurich) et utilisées dans les loggias;
Portes diverses, dont une porte massive en verre et aluminium (Zurich) utilisée dans l’entrée principale;
Planchers en bois (Winterthur) et planches en bois massif, rabotées et utilisées comme cloisons;
Installation photovoltaïque d’une dizaine d’années (Zurich);
Radiateurs (Winterthur);
Briques et blocs de différentes dimensions;
Installations et éléments sanitaires;
Placards divers.
Ce texte se base notamment sur deux articles parus en allemand dans Der Landbote en mai 2020 et dans Baublatt en juillet 2020, et disponibles sur le site de Baubüro in situ, ainsi que sur un article publié dans la revue suisse Tracés et disponible sur l’espace numérique pour la culture du bâti espazium.ch.