En architecture, l’utilisation de matériaux de réemploi relève bien souvent d’une forme d’expérimentation, tant du point de vue technique que créatif. L’aspect légal de ces expérimentations peut dans certains cas devenir un frein au réemploi. Sur ce point, et depuis quelques années, les choses semblent bouger en France.
Le « Permis de faire », cher à l’architecte-constructeur Patrick Bouchain, a été traduit une première fois à titre expérimental dans des textes légaux, à l’article 88 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 (Loi LCAP, relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine). L’article, portant sur les logements et bâtiments publics, autorisait les personnes publiques à déroger à certaines règles de construction (fixées par le Décret n° 2017-1044 du 10 mai 2017) à la condition d’atteindre des objectifs similaires. Ceci concernait notamment les matériaux et leur réemploi.
Un nouveau texte viendra élargir ce dispositif. Il s’agit de l’article 49 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 (Loi ESSOC, pour un État au service d’une société de confiance) qui introduit le « Permis d’expérimenter », précisé à travers deux ordonnances. La première (Ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018) étend le dispositif initial à d’autres champs d’expérimentation ainsi qu’à tous les maîtres d’ouvrages. Une deuxième ordonnance (Ordonnance n° 2020-71 du 29 janvier 2020) vient quant à elle pérenniser ces expérimentations en réécrivant le Code de la construction et de l’habitation (CCH). Dans un esprit d’innovation, tant architecturale que technique, une règle d’objectifs et de résultats à atteindre via le principe de la solution dite « d’effets équivalents » se substitue ainsi à la règle de moyens par l’utilisation de normes. Une validation de la demande par un organisme indépendant de l’opération apporte un élément de contrôle. Dans le domaine du réemploi, les matériaux ne doivent donc plus correspondre à une série de normes lorsque celles-ci sont imposées, ce qui n’est pas non plus toujours le cas, mais démonstration doit être faite de résultats équivalents à ceux attendus par ces normes ainsi que de leur caractère innovant.
La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 (Loi ELAN, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) introduit de son côté le principe du « Permis d’innover », légèrement différent puisqu’il concerne les zones géographiques particulières de certaines grandes opérations, est validé par des pouvoirs publics et permet d’innover dans la construction mais aussi en matière d’urbanisme par exemple.
Si toutes ces démarches semblent par moment se recouper, il est important de signaler que l’idée initiale du « Permis de faire » qui allait dans le sens de la simplification et de l’intérêt général ne se retrouve que de façon très partielle dans toutes ces nouvelles moutures. Elles permettent de déroger à certaines règles mais en instaurent d’autres puisqu’il s’agit d’apporter la preuve d’une innovation et d’effets équivalents. Il est par ailleurs difficile de savoir dans quelle mesure tous les maîtres d’ouvrages qui le désirent pourront se permettre d’entreprendre des démarches qui restent compliquées et coûteuses. Le réemploi n’a d’ailleurs pas attendu ce nouvel arsenal législatif pour s’accommoder des normes et imaginer des solutions alternatives. Néanmoins, ces différents textes de loi dont l’expérience nous dira s’ils ont permis de réelles avancées, ont l’avantage d’entrouvrir une porte, d’envisager les projets d’architecture d’une autre manière et de s’intéresser aux matériaux et à leur réemploi.