Construire – 2

À Boulogne-sur-Mer, l’agence CONSTRUIRE interviendra sur 60 logements sociaux, faits de petites maisons. Au lieu de les raser, la ville avait en effet décidé de leur réhabilitation sur fonds propres. L’architecte Sophie Ricard tentera, deux ans durant, en résidant sur place, d’accorder la réhabilitation des logements aux situations individuelles des habitants. Son travail commence par l’aménagement d’un petit jardin, une façon de s’intégrer au quartier et de rencontrer ceux qui y vivent, et tout d’abord les enfants. Ils puiseront largement dans les rebuts de chantiers voisins pour aménager des serres ou un cheminement à travers le jardin. Si c’est le manque de moyens qui a mené à cette solution, elle n’a pas été difficile à accepter dans le quartier où plusieurs habitants ont cette expérience de la récupération puisqu’ils travaillent comme ferrailleurs. Le chantier en tant que tel, ouvert à tous, verra l’isolation des maisons par l’extérieur dans un premier temps puis une intervention sur l’intérieur. La cité de chantier, aménagée dans une maison mitoyenne de celle mise à disposition de l’architecte, deviendra un lieu de rencontre. Les ouvriers y mangent autour d’une table fabriquée en bois de palette par les enfants du quartier. Le long diagnostic et le traitement personnalisé accordé aux différentes maisons débouchera sur le passage de soixante appels d’offre distincs. Un travail sur la couleur donnera davantage de visibilité à cette approche individualisée. Il est intéressant de constater que ce sont différentes personnalités au sein de l’agence qui se sont chargées de l’aspect politique, technique et social du projet.

Un autre projet, à Tourcoing, poursuivra cette idée de “réparer au lieu de reconstruire”, tout en maintenant une présence forte des architectes sur le lieu de leur intervention ainsi qu’une approche individualisée du travail à effectuer sur les différentes maisons. Il s’agissait de maisons ouvrières en briques, sauvées de la démolition grâce au travail préalable de l’association Rase pas mon quartier. Ici aussi, il faudra fédérer les différentes catégories d’habitants autour d’un même projet, créer “de la communauté” mais aussi “de la différenciation”. Un lieu socioculturel, l’atelier électrique, sera un point de ralliement et servira de permanence architecturale. Plus concrètement, le travail sur l’isolation et le bardage s’accompagne d’une réforme intérieure des logements. Un réseau de réempoi se met alors en place à l’échelle du quartier pour de petits éléments comme du carrelage. Les carreaux de ciment constituent en effet un part essentielle de l’identité de ces maisons ouvrières. Dans une interview réalisée pour l’ouvrage “Matière Grise”, Patrick Bouchain détaillait au sujet de ce réseau de réemploi: “On a donc crée une maison-magasin dans laquelle on a mis tout ce que l’on démontait des autres logements. Elle a servi pour les entrepreneurs mais aussi à toute personne du quartier qui pouvait venir chercher à cet endroit un robinet, un interrupteur, un carrelage, une lame de parquet, un volet, une fenêtre…”

Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de “construire autrement”, de ne pas travailler pour un habitant “moyen” vivant dans un logement “normalisé”, de ne plus “appliquer aveuglément des modèles et des standards préétablis”. La prise en compte des spécificités de chacun est ce qui a permis d’ajouter aux différents projets cette seconde couche culturelle et sociale dont parle aussi Patrick Bouchain. Et le choix du réemploi ou de la réutilisation pour accompagner cette démarche semble évident. Réemployer demande en effet une approche elle aussi spécifique, dépendante de chaque matériau issu d’un stock hétérogène. Mais que ce soit la réutilisation et le bricolage qui accompagne le travail des ouvriers à Boulogne-sur-Mer ou le réseau de réemploi mis en place à Tourcoing, réemployer ne devient jamais le prétexte à un quelconque geste architectural déconnecté. Il est d’abord une façon logique d’accompagner un processus. Et la flexibilité de l’approche des architectes devient parfois aussi flexibilité dans la conception de futurs logements. C’est notamment le cas des logements évolutifs de Beaumont, petite commune rurale, où certaines parties des bâtiments peuvent être aménagées ou transformées librement par les habitants, dans une démarche qui rappelle celle du bureau Elemental au Chili. Le cas par cas devient ici l’élément clé favorisant l’auto-construction ainsi qu’un possible réemploi à l’échelle d’une habitation. Ce dernier projet comme les deux précédents, s’ils ne se veulent pas des démonstrateurs du réemploi en tant que tels, s’efforcent pourtant, chacun à leur manière, de défendre une conception différente de l’architecture, celle-là même qui rendra possible une future généralisation du réemploi!


Les différents projets (Boulogne-sur-Mer, Tourcoing, Beaumont) décrits succintement dans cet article, le sont de façon beaucoup plus complète dans l’ouvrage collectif “Pas de toit sans toi”, publié sous la direction de Patrick Bouchain en 2016 chez Actes Sud, dans la collection L’Impensé. D’autres informations proviennent de l’interview faite à Patrick Bouchain et reproduite dans l’ouvrage “Matière Grise”, publié en 2014 par le Pavillon de l’Arsenal sous la direction d’Encore Heureux.